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Le protocole ‘irlandais’ sur la Défense: un simple couper-coller… Vraiment ?

(B2) Présenté comme une 'simple clarification' du Traité de Lisbonne, le protocole demandé par l'Irlande (et consenti par les 27 au dernier sommet (1)) pour faciliter la ratification du Traité de Lisbonne par les Irlandais me semble un peu plus qu'un simple couper-coller des dispositions du Traité.

Ne nous voilons pas la face. Ce texte précise, en effet, dans la section consacrée à la 'sécurité et défense', quelques points qui restaient jusqu'ici de l'ordre du non-dit. Or inscrire dans le marbre le non-dit signifie juridiquement limiter les marges de manœuvre. De plus, ce texte ne vise pas strictement l'Irlande mais l'ensemble des États membres (avec l'Irlande), ce qui est singulièrement différent. Enfin, ce qu'il faut bien appeler les dispositions de ce protocole 'irlandais' ont (comme tout
protocole) la même valeur juridique que le Traité même. Ce n'est pas du droit secondaire (dérivé) mais du droit primaire (à valeur constitutionnelle). Toute clause du protocole a donc même valeur que l'article ou la disposition auquel il fait référence. Quelques remarques sur les principales clauses de ce protocole...

  • NB : je les classe avec 1, 2 ou 3 étoiles, selon leur importance présumée : * sans changement, ** changement formel, *** changement contextuel ou de contenu.

Clause(s) de solidarité ***. Le protocole indique : « Il appartiendra aux États membres de déterminer la nature de l'aide ou de l'assistance à fournir à un État membre qui est l'objet d'une attaque terroriste ou est l'objet d'une agression armée sur son territoire. »

  • Cette disposition renvoie non pas à la 'clause de solidarité' mais aux deux clauses de solidarité que contient le Traité de Lisbonne. L'une (article 42) prévoit que « en cas d'agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir ». L'autre (article 222) est plus contraignante. Elle proclame que « L'Union mobilise tous les instruments à sa disposition, y compris les moyens militaires mis à sa disposition par les États membres » dans deux cas: 1) menace ou attaque terroriste; 2) catastrophe naturelle ou d'origine humaine. « Les modalités de mise en œuvre par l'Union de la présente clause de solidarité sont définies par une décision adoptée par le Conseil. (...) Lorsque cette décision a des implications dans le domaine de la défense, le Conseil statue (à l'unanimité). » On peut soutenir que les dispositions reviennent au même. Mais cela a une valeur, au moins sémantique différente. Puisque le protocole implique que c'est à chaque État de déterminer l'aide. La dynamique est largement différente entre « en cas d'attaque, on décidera en commun des moyens de réponse » ou « en cas d'attaque, chaque État membre déterminera les moyens à fournir ».
  • De fait, c'est un ajout, une limitation de plus. Quoi qu'on puisse en dire, la clause de solidarité de l'UE de l'article 222 est amoindrie, rétrogradée au dispositif de la clause standard de l'article 42. Mais est-ce vraiment grave ? Non. C'est, d'une certaine façon, un retour à la réalité. Cela paraît logique qu'en cas d'attaque terroriste par exemple, au Royaume-Uni par l'IRA, ou en Espagne par l'ETA, que la Lituanie ou la Grèce réagissent différemment de l'Irlande ou la France. NB : précisons que cette limitation n'est valable que pour le premier point de la clause de solidarité (menace terroriste), pas le deuxième (catastrophe naturelle ou humaine). Elle ne concerne strictement donc que la menace 'militaire' et non la menace 'civile'.

Défense commune *. Le protocole indique : « Toute décision conduisant à une défense commune nécessitera une décision unanime du Conseil européen. »

  • C'est la copie conforme de l'article 42 du Traité de Lisbonne.

Spécificité de la politique de chaque État membre *. « Aucune disposition de la présente section n'affecte ou ne porte préjudice à la position ou à la politique de tout autre État membre en matière de sécurité et de défense. »

  • Le copier-coller est intégral, avec l'article 42-2. Tellement ... intégral qu'on n'a même pas eu besoin d'enlever le mot « section » !

Coopération structurée permanente et Agence de défense **. Le protocole précise : « Il appartient également à chaque État membre de décider, conformément aux dispositions du traité de Lisbonne et à ses éventuelles règles juridiques internes, s'il participe à la coopération structurée permanente ou à l'Agence européenne de défense. »

  • C'est également la copie conforme du Traité de Lisbonne du moins pour la coopération structurée permanente (article 46) qui n'existe pas encore. Pour l'Agence de défense, c'est plus confus. Car cette agence a déjà été créée. Et l'Irlande y participe déjà. La décision créant l'agence (du 12 juillet 2004) prévoit déjà que « Tout État membre souhaitant participer à l'Agence ou se retirer de celle-ci, notifie son intention au Conseil et en informe le (Haut représentant). » Et le Traité de Lisbonne ne fait que la conforter. « L'Agence européenne de défense est ouverte à tous les États membres qui souhaitent y participer. » On réaffirme ainsi le principe de 'participation à la carte' pour l'Agence de défense.

Armée européenne ***. « Le Traité de Lisbonne ne prévoit pas la création d'une armée européenne ni de conscription pour une quelconque formation militaire. »

  • Aucune disposition effectivement n'existe dans ce sens, ni de près ni de loin, dans le Traité. La création d'une armée européenne est un phantasme de quelques eurosceptiques et un leurre de quelques fédéralistes. Mais elle n'a jamais été envisagée en tant que projet européen, explicite. Pour autant, aucun démenti n'avait été jusqu'ici clairement affirmée par les responsables européens, d'un commun accord. Même durant la campagne sur le référendum en Irlande, l'UE était restée bien silencieuse, accréditant par là-même certains commentaires déformants. Cette affirmation est donc bienvenue, pleinement intéressante, tant d'un point de vue juridique que politique.

Dépenses militaires et capacités de défense **. « Il n'affecte pas le droit de l'Irlande ou de tout autre État membre de déterminer la nature et le volume de ses dépenses de défense et de sécurité ni la nature de ses capacités de défense. »

  • Cela paraît évident. Mais là encore le Traité de Lisbonne n'est pas aussi explicite. Au contraire même, il prévoit que « les États membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires » (article 42).

Opérations militaires **. Le protocole indique : « Il appartiendra à l'Irlande ou à tout autre État membre de décider, conformément à ses éventuelles règles juridiques internes, s'il participe ou non à une opération militaire. »

  • C'est la pratique suivie jusqu'ici : aucun pays n'est jamais tenu de participer à une opération militaire. Et l'UE ne dispose d'aucun pouvoir coercitif en la matière. Toutes les décisions doivent être prises à l'unanimité (à 26 États - le Danemark ne participant pas à la politique militaire de défense). C'est toute la problématique d'ailleurs pour chaque opération de réunir les forces nécessaires (dans ces fameuses conférences de génération de force où il est rare d'atteindre le minimum requis en une seule session). Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce principe n'est pas inscrit noir sur blanc dans le Traité. C'est en soi une novation.

Au final...

Deux questions ...

1) Quelle est la nature de ce protocole ? Un opt-out irlandais. Non pas vraiment. Car la plupart des dispositions ne visent pas que l'Irlande mais l'ensemble des États membres. Libre aux autres États de revendiquer ces dispositions.

2) Fait-il avancer l'Europe de la défense, avec les « précisions », « clarifications » qu'il entraîne ?

Avancer serait sans doute un bien grand mot. Mais parler de reculade serait tout aussi erroné. En tout cas, le premier mérite de ce protocole est de mettre à bas certains préceptes qui pouvaient peser négativement sur l'Europe de la Défense. Il rend plus réalistes certaines des préconisations du Traité de Lisbonne. Il réintroduit à chacune des décisions possibles, la notion d'État souverain.

... et une remarque

Pour modifier le droit primaire européen (le Traité), il n'a pas été jugé nécessaire - cette fois - de convoquer une conférence intergouvernementale. C'est le Conseil européen qui décide, seul, en son âme et conscience, d'ajouter un élément au Traité. Car au plan juridique, c'est un fait certain, même si on peut discuter l'apport du contenu, il y a bel et bien un nouveau protocole qui vient s'ajouter au dispositif des deux textes (traité sur l'Union européenne et traité sur le onctionnement de l'Union européenne) mis en place par le traité de Lisbonne.

 (Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Lire Accord des 27 sur un protocole 'irlandais' sur la Défense

* sans changement, ** changement formel, *** changement contextuel ou de contenu

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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