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L’OTAN cherche à remédier à son enlisement en Afghanistan

(BRUXELLES2) Même si d’autres thèmes sont en débat, c’est autour de l’Afghanistan, où se déroule la principale opération militaire de l’Alliance, depuis 2003, que tourneront les débats du sommet de l’OTAN à Strasbourg-Baden-Baden. Alors que les Occidentaux disposent sur place de plus de 70 000 hommes (57.000 de la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) et 15.000 hommes de l’opération anti-terroriste « Enduring Freedom », dont 38.000 Américains), et qu’aucun grand pays ne soutient les Talibans, ceux-ci mettent en échec la coalition.

La peur de l'échec et le rappel de l'histoire (soviétique)

Même si personne ne veut l’avouer, l’inquiétude est grande dans les rangs européens, d’autant que personne ne voit se profiler une porte de sortie. « C’est très difficile de dire quand on aura achevé l’opération » me confiait ainsi récemment un ambassadeur du Comité politique et de sécurité de l’UE, dont on ne peut soupçonner la vigueur de son engagement atlantiste. « Si les États-Unis envoient réellement les troupes, nous aurons le même contingent que du temps de l’intervention soviétique... Et même, si on prend en considération, l’équipement et l’entraînement de nos soldats, nous aurons le double de troupes. Et on ne peut toujours pas dire quand nous aurons le contrôle de la situation ».

Le nombre de morts militaires a atteint un sommet en 2008 avec près d’un mort par jour et cette tendance continue (294 morts en 2008 et 78 dans les premiers mois de 2009 selon le site indépendant icasualties.org). Les pertes de l’armée et de la police afghanes sont plus importantes. « La principale cible des Talibans n’est plus l’armée mais la police » explique un diplomate de l’Alliance. « Je perds 5 policiers par jour » a ainsi expliqué le ministre de l’Intérieur afghan lors d’un entretien avec les responsables de l’Alliance. Quant aux civils, ils sont majoritairement touchés. 38 travailleurs humanitaires ont été tués et 147 ont été enlevés en 2008, selon les Nations Unies. Et 2118 civils afghans sont décédés en 2008.

Une nouvelle stratégie

La nouvelle stratégie américaine vise, comme en Irak, d’abord à renforcer la présence militaire internationale, de façon à offrir un niveau de sécurisation suffisant, ainsi que l’enseignent tous les manuels de contre-insurrection, rédigés avec les exemples du Vietnam ou de l’Algérie. Elle entend également accompagner cet effort  militaire d’un effort identique civil, afin, d’une part, de former de façon plus rapide et agressive les forces de sécurité afghanes et, d’autre part, de permettre un développement plus rapide du pays, en envoyant davantage d’ingénieurs ou de médecins.

Enfin, elle entend tendre la main à certains groupes Talibans, afin qu’ils quittent l’opposition armée et rallient le gouvernement central.  L’objectif du Sommet de l’OTAN est d’obtenir des contributions de tous les Etats membres, et d’autres, soit en effectif (militaires, formateurs de policiers, agents de développement), soit en numéraire. L’idée développée à l’OTAN est de demander à tous les Etats – non membres de l’Alliance et qui ne participent pas à l’opération (Japon, Chine, pays arabes du Golfe…) – mais intéressés à la stabilisation de l’Afghanistan de financer ces missions de formation et de développement civiles.

Renforts militaires

Les Américains ont décidé d’augmenter leurs effectifs. Barack Obama a ainsi donné son feu vert pour l’envoi d’environ 20 000 hommes (troupes de combat, aviation et logisticiens) supplémentaires cette année. Et l’armée réclame encore 10 000 hommes supplémentaires. Cet effort ne peut être partagé que de façon modeste, et temporaire, par les Européens – qui avec les autres partenaires de l’Alliance forment déjà près de la moitié des effectifs présents. Environ 2000 hommes ont déjà été promis (600 Allemands, 500 Italiens, 400 Polonais, 100 Finlandais, 60 Belges…), la plupart de façon temporaire pour couvrir les élections présidentielles du mois d’août. L’objectif du sommet est d’augmenter ces offres de participation. Mais sans espoir. « Nous ne pouvons pas faire vraiment beaucoup plus» confie un ambassadeur européen. Les Britanniques et les Français doivent notamment préciser leur contribution à cet effort. Les Américains semblent bien conscients de ces limites et demandent aux Européens d’être davantage présents sur le front civil.

Doper la police afghane

Selon des responsables de l’OTAN, l’objectif serait de pouvoir disposer de forces de sécurité afghanes en nombre suffisant et suffisamment formées pour pouvoir prendre en charge leur sécurité : 200 000 pour l’armée, 200.000 pour la police, soit 400.000 hommes en tout. Ce qui est largement plus à que ce qui existe aujourd’hui (80.000 militaires et 80.000 policiers environ) et même ce qui est annoncé officiellement (un projet du gouvernement vise à porter l’armée à 134.000 hommes) et représente un coût de plusieurs milliards d’euros par an. Il s’agit aussi de réorienter la formation des policiers. Selon un militaire de l’OTAN, « on a trop conçu la formation de la police comme une force de quartier civile, de police judiciaire. Or, entre l’armée proprement dite et la police, il manque des unités capables non seulement de maintenir l’ordre public, mais aussi d’assurer leur propre protection et celles des civils, de façon musclée. Par exemple en cas d’attaque dans les villages ou pour réagir en cas d’embuscade ». En gros, une force de police militaire, de type gendarmerie, comme la France en avait en Algérie dans les années 1950 (une expérience observée à la loupe par le général Petraeus, commandant les forces américaines en Irak).

La gendarmerie européenne en action

C’est dans ce cadre que pourrait être utilisée la Force de gendarmerie européenne (FGE), force multinationale à laquelle participent six pays (France, Italie, Espagne, Portugal, Pays-Bas, Roumanie). Ces gendarmes seraient déployés dans les zones où des militaires du pays sont déjà déployés afin de former une gendarmerie afghane. L’autorité de commandement reste floue "Ils seraient à la fois sous drapeau européen de la FGE et à l'intérieur de l'Isaf", la force internationale sous commandement de l'Otan, selon Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères français, promoteur de cette idée. Environ 400 gendarmes, essentiellement Français et Italiens, pourraient participer à l’opération. Mais tous ne sont pas très enthousiastes.

Côté espagnol, notamment, le ministre des affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos a ainsi déclaré selon ce que relaie l'AFP « continuer à discuter des modalités parce que jusqu'ici il n'a pas été défini clairement quels seraient le rôle et les règles d'engagement de ce déploiement de gendarmerie européenne en Afghanistan ». Cette proposition vient aussi s'inscrire en biais par rapport à l'initiative de l'UE de former la police afghane. Cela commence à faire un peu fouillis, même si l'objectif et les moyens employés restent justifiables...

(Nicolas Gros-Verheyde

(article paru à l'origine dans Europolitique)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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