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L’Airbus A400M: la cause… les causes du retard (dossier)

(BRUXELLES2) Trois types de retard

Les retards de l’Airbus ne concernent pas un seul module mais plusieurs.

Le moteur et son système de contrôle informatique, le Fadec. C’est non seulement le système qui est en retard mais sa certification aux normes civiles. Cette certification aurait dû avoir lieu fin octobre 2007, d’après le contrat passé entre Airbus military et les motoristes. Ceux-ci ont promis une livraison pour juin 2009. Mais selon EADS, cité par le rapport du Sénat français, le retard prévisible serait donc plutôt de l’ordre de deux ans.

Les systèmes de navigation. Deux sont indispensables aux capacités opérationnelles de l’appareil : le Flight Management System (FMS fabriqué par Thales) et le GPS Air Data Inertial Reference System (GADIRS fabriqué par Sagem). Les deux autres systèmes sont des atouts spécifiques à l’A400M : le Terrain-Reference Navigation System (TRN – Eads) et le Terrain masking low level flight (TM-LLF – Eads).

La position du stabilisateur horizontal, la définition interne de la voilure et son dimensionnement doivent être revues, l’estimation de la masse de l’avion étant (celle-ci est supérieure de 12 tonnes à vide à celle qui était prévue au départ).

La cause, les causes du retard ?

Pour discerner les causes du retard, il faut remonter au début du contrat et analyser toutes les causes. Comme l’expliquent les sénateurs français dans leur rapport, les Etats ont fait un « pari risqué » : demander un avion entièrement nouveau, dans des délais très brefs, à des prix bas et sans prendre de responsabilité sur les risques technologiques.

Au moment de la définition du contrat, les objectifs des Etats européens divergeaient. Pour les Britanniques, l’impératif était la livraison à temps, ayant besoin d’une flotte nouvelle dès 2004. Ils ont ainsi mis la pression sur le calendrier. Pour les Allemands, le besoin était moins criant, mais par contre ils tenaient à un budget « très encadré ». Ils ont cherché à faire baisser le prix. Les Espagnols désiraient « faire grandir leur industrie aéronautique ». Quant aux Français, ils tenaient un peu aux trois impératifs, avec un aspect idéologique en plus, « faire avancer l’Europe de la Défense » et l’indépendance industrielle européenne, en ayant un maximum de « pays à bord ».

Une technologie faite d’innovations. Voulu comme un outil polyvalent, de longue distance (transport stratégique), pouvant se poser sur tous les terrains (transport tactique) et pouvant emporter un gros volume, ses commanditaires ont, peut-être « chargé un peu la barque ». Ensuite, c’est un bijou technologique, comprenant de nombreuses innovations, mais doté d’une une avionique complexe. Ce qui a un coût, en terme de délai. Chaque petit retard sur un nouvel élément s’additionne. Un risque augmenté par l’absence de programme d’évaluation des risques technologiques ; les Etats auraient refusé de le financer, selon EADS.

Le calendrier serré au maximum paraît assez irréaliste. Alors qu’un programme d’avion de transport militaire se conçoit entre 10 et 15 ans, entre le début du développement et la première livraison, pour l’A400M ce délai était de 6,5 ans ! Le retard pris n’est ni plus ni moins donc qu’un retour à la normale.

Le prix a été serré au maximum. Lors de la conclusion du contrat, le prix d’un A400M était estimé à la moitié d’un Boeing C-17 Globemaster, et à peine plus cher que le Lockheed C130J de conception plus ancienne et deux fois moins grand. Un véritable défi, estime David Gould, chef adjoint de la « Defence Procurement Agency » britannique « Nous essayons d’obtenir quelque chose qui soit entre l’Hercules et le C17 à un prix qui soit le plus proche de l’Hercules »

Le départ de deux Etats fondateurs. Le départ de l’Italie, d’abord, du Portugal ensuite, même s’ils n’ont pas compromis le programme, lui ont porté un mauvais coup à la fois économique, obligeant à augmenter légèrement le coût des avions, et en terme d’images, donnant un mauvais signal à l’export.

6° Les erreurs de l’industriel. Airbus cherchait – sur le modèle de Boeing – à équilibrer sa production d’avions civils. Ainsi il a « sous-estimé l’ampleur du défi ». Il a pensé qu’un avion de transport militaire tactique équivalait qu’un avion de transport civil « peint en vert ». L’absence d’expérience des ingénieurs d’Airbus en matière
militaire – malgré la présence d’Alenia et de Casa – semble avoir pesé dans cette mauvaise perception. EADS n’a pas non plus mis toutes les chances de son côté ». Airbus Military responsable du programme n’avait pas vraiment l’autorité hiérarchique sur l’ensemble des acteurs. Et la plupart des capacités avaient été mobilisées par le programme A380. « EADS s’est engagé à réaliser un type d’avion qu’il n’avait jamais fait, sans se doter de la meilleure organisation pour le faire et tout en faisant autre chose. » souligne le rapport du Sénat français.

7° L’absence de dialogue entre les Etats et l’industriel est pointé aussi du doigt. Aucun Etat n’a été désigné comme leader du programme. « Ce qui a privé l’industriel d’un interlocuteur réactif et tendu le consortium difficilement gouvernable » explique le rapport du Sénat français. Quant à l’OCCAR, son rôle n’est pas en cause. Mais il n’a pas d’autonomie de décision et doit se retourner vers les Etats à chaque problème. Ce qui ralentit encore plus le processus décisionnel.

8° La certification civile a été voulue par les commanditaires car elle est rendue obligatoire par les nouvelles normes européennes de circulation dans les couloirs aériens. Mais elle est lourde car elle implique de fournir une documentation complète du système, qui doit être traçable. Aucun avion principal de transport militaire n’est actuellement certifié, sauf le C130J – qui dispose d’un certificat partiel de la Federal Aviation Administration.

 

Haute technologie, trop haute technologie ?

L’Airbus est un avion innovant. Trop peut-être. Ses commanditaires et concepteurs ont sans doute vu un peu gros, incorporant de nombreuses innovations technologiques.

Le moteur tout d’abord, spécialement développé pour l’appareil – 4 turbopropulseurs de grande puissance (11.000 chevaux chacun). Au départ, c’est le motoriste nord-américain, Pratt et Whitney, qui avait été pressenti. Mais d’un commun accord, surtout franco-britannique, les Etats membres ont affiché la préférence pour une solution européenne, dans « une optique de souveraineté ».

Les hélices, ensuite, avec un sens de rotation des deux moteurs inversé, une dérive réduite, ce qui permet une charge utile plus lourde ou une plus grande distance franchissable pour une même quantité de carburant.

Le FADEC – système informatique qui contrôle les moteurs, des hélices – est particulièrement complexe. Il comprend 275.000 instructions là où un avion civil A380 ou un avion de chasse comme le Rafale en comprend 90.000.

Il peut emporter deux fois plus de matériels que ses concurrents directs – le Transall C-160 ou le Lockheed C-130. Sa soute peut ainsi accueillir 9 palettes militaires standard, ou 116 soldats avec leur équipement, ou 66 civières et une équipe médicale. Il peut surtout transporter un hélicoptère type NH90.

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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