B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Actu BlogAviation

L’Airbus A400M: un projet en retard, les faits, les causes (dossier)

(BRUXELLES2) L’avion Airbus A400M a pris du retard. Ce n’est plus un secret depuis plusieurs semaines. Entre trois et cinq ans, selon les sources. EADS a confirmé, début janvier, un retard « d’au moins 3 ans pour la première livraison ». Cela signifie une livraison vers fin 2012 au lieu de 2009. Et encore s’agit-il du premier appareil. La production la première année est de l’ordre d’un ou deux appareils dans un premier standard (sans certaines fonctions logicielles avancées), il faut compter en fait 2014-2015 pour une réelle livraison en série.

Dérapage des coûts

A ce dérapage du planning de livraison s’ajoute un dérapage budgétaire. Le surcoût pourrait avoisiner entre 2 et 5 milliards d’euros selon les sources. Un montant démenti par la direction d’EADS. « Aucune indication ne peut être donnée à ce jour tant qu'un plan industriel engageant, incluant la disponibilité des systèmes, n'est pas stabilisé et que les
discussions avec l'organisation européenne de coopération en matière d'armement (OCCAR) ne sont pas achevées » Celle-ci aurait déjà provisionné un montant de 1,785 milliards d’euros dans ses comptes.

A noter : Le programme représente entre 20 et 26 milliards d’euros selon la référence de prix examinée. Le prix de l’avion est, en effet, indexé selon une formule
de calcul, qui conduit à un ajustement du prix annuel de 2% en moyenne

Conséquences opérationnelles

Ce retard entraîne de sérieuses difficultés opérationnelles en France et au Royaume-Uni, particulièrement qui ont des appareils anciens et une tradition d’engagement de haute intensité sur des terrains difficiles (Irak, Afghanistan, Afrique) mettant à rude épreuve leur flotte aérienne. Si la difficulté est assez relative pour le transport stratégique (longue distance) car des solutions palliatives, bien qu’onéreuses, peuvent être trouvées (par exemple Antonov avec le contrat Salis, C17…), elle est plus critique pour le transport tactique (sur le théâtre d’opération) car il n’y a pas d’autre avion disponible, mis à part le Lockheed C-130J (Hercules). Mais la conception est déjà ancienne, datant des années 1950-60, et sa soute ne permet pas d’emporter les équipements modernes.

Conséquences contractuelles

Indemnité. En cas de retard excusable, le gouvernement commanditaire peut, pour chaque jour de retard, appliquer une astreinte de 0,02% du prix de base de l'A400M. L'indemnité de retard est limité à un maximum de 6%, soit pour un prix fixe de 78,21 millions d'euros par machine (hors taxe et mise en service), environ 4,7 millions d'euros par machine. Si certains Etats (la France par exemple) ont montré leur volonté d’abandonner leur droit à indemnité en échange de l’annonce d’un calendrier de livraison intangible et clair ; d’autres sont moins flexibles. L’Allemagne, par exemple, « n'est pas prêt à abandonner son droit contractuel (à indemnisation) » comme l’a expliqué le gouvernement devant le Bundestag.

Rupture du contrat. Le retard est tel qu’il est devenu possible aujourd’hui aux Etats de pouvoir se retirer du programme, sans devoir payer un dédit. Le contrat signé par l’OCCAR prévoit, en effet, que si le premier vol a un retard de plus de 14 mois, les Etats peuvent abandonner le programme en récupérant les sommes versées : le premier vol ayant été prévu pour janvier 2008, cela signifie qu’une telle éventualité devient envisageable à compter d’avril 2009.

La rupture du contrat a cependant une conséquence directe sur l’économie du programme et les contreparties négociées par chaque État membre. En Allemagne, on estime ainsi qu’environ 10 000 emplois dépendent du programme A400M: 3 300 emplois directs et 7 150 emplois indirects.

Mesures prises

Revue de programme. L’OCCAR a été chargé de réaliser une revue de programme – dont les premiers résultats devraient être connus en mars.

Moratoire. Un moratoire de trois mois a été proposé à EADS par les Ministres de la Défense des pays participant au programme, réunis en marge de la réunion informelle, à Prague, le 12 mars. Objectif : permettre aux pays commanditaires d’engager des discussions avec le constructeur pour essayer de faire le point sur l'état du programme, ses difficultés de mise en oeuvre et la question des éventuelles pénalités financières, dans un climat apaisé. Et reporter ainsi à la mi-juillet toute décision quant à la révision (ou la dénonciation) du contrat. La situation commençait, en effet, à devenir critique : la volonté de réduire les commandes transpirait de plusieurs Etats membres (Royaume-Uni, Allemagne…). « Aucun
Etat ne prendra de décision sans avoir évoqué cette question avec les autres » a expliqué Hervé Morin, le ministre français de la Défense.

Positions face à la crise

Plusieurs solutions existent : abandonner certaines indemnités de retard ou revoir à la hausse le prix de l’appareil (pour faciliter le retour à l’équilibre financier), revoir à la baisse certaines spécifications (pour accélérer la livraison), ou dénoncer le contrat et opter pour une autre alternative (à supposer qu’elle existe).

EADS considère, selon le rapport du Sénat français (1) que certaines spécifications doivent être revues, voire supprimées. L’industriel préconise ainsi de revoir à la baisse le FMS. Quant aux deux systèmes spécifiques à l’A400M, le TRN et le TM-LLF, Ils sont « à ce jour techniquement irréalisables ; le premier pour des raisons de fiabilité tenant notamment aux imperfections des capteurs, le second à cause d’une complexité incompatible avec la capacité de calcul à bord ». EADS plaide aussi pour une révision des modalités d’indexation du prix de l’appareil qui pour ne pas perdre d’argent.

• La France est prête à « ne pas exiger certaines pénalités financières prévues dans le contrat. En échange, EADS doit s’engager sur un calendrier ferme de livraison », précisait Hervé Morin à Bruxelles le 2 décembre, lors d’une séance de la commission des Affaires étrangères du Parlement européen. « Il faut aussi revoir à la baisse certaines spécificités. On a peut-être trop exigé. On a peut-être voulu faire un avion un peu trop compliqué. Les Etats majors n’ont pas été raisonnables. ».

• L’Allemagne a « besoin de transparence » selon Franz-Josef Jung, le ministre de la Défense, qui s’exprimait à Prague le 12 mars. « Nous avons toujours besoin de l’A400M pour ses forces armées » avait précisé quelques jours auparavant Thomas Raabe, porte-parole du ministère de la Défense. « Ce qui est important pour nous, c'est la date de livraison, et pas le premier vol. Nous souhaitons de la transparence et de la clarté de la part de l'entreprise ». En fait, l’Allemagne n’est pas disposé à revoir le contrat. Que ce soit pour certaines spécifications ou pour renoncer aux indemnisations, "le gouvernement n'est pas disposé à renoncer à son droit contractuel" a déclaré le gouvernement devant le Bundestag.

• Le Royaume-Uni a évoqué publiquement la possibilité d’une solution alternative. Le ministre de la Défense de Gordon Brown, John Hutton, a expliqué devant le Parlement en janvier : « Nous ne pouvons pas accepter un retard de 3 à 4 ans pour la livraison de cet avion. Cela imposerait une pression inutile et inacceptable sur nos matériels aériens et, avec tous nos Etats partenaires, nous devons examiner vraiment très prudemment quelle est maintenant la bonne réponse à ce problème, alors que nous avancerons » (*). Le rapport de la Chambre des communes, sur les équipements militaires (2), se posait également la question s'il ne serait pas préférable "d'abandonner (le programme) et de prendre (d'autres) décisions pour acheter ou louer d'autres avions afin de ne pas laisser un déficit de capacité dans le transport aérien se créer ».

• L’Espagne se montre surtout préoccupée par la préservation d’une industrie de Défense forte. « Nous souhaitons tous que l'industrie de défense européenne pèse » a souligné Carme Chacon, la Ministre de la Défense, le 12 mars. « Pour l'Espagne, une chose est claire, le renforcement de la défense européenne est fondamental ».

Pour aller plus loin:

(1)« L’Airbus A400M sur le chemin critique de l’Europe de la défense », rapport du Sénat français N°08-205 (février 2009).

(2) « Defence Equipment 2008 », rapport annuel de la commission de Défense de la Chambre des Communes (mars 2008), télécharger

« Defence Equipment 2009 », rapport annuel de la commission de Défense de la Chambre des Communes (février 2009), télécharger

(*) Hutton : We cannot accept a three to four year delay in the delivery of these aircraft. It is going to impose unnecessary and unacceptable strain on our air assets and we, along with all of our partner nations, will have to consider very carefully indeed what the right response now to this problem is as we go forward

© Nicolas Gros-Verheyde / Europolitique

(crédit photo : EADS Airbus Military)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®