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Temps de travail : le temps d’un échec

(B2) Cinq années de négociation pour une nouvelle directive sur le temps sur le travail pour aboutir à la case départ. Alors échec ou succès. Selon moi, c'est un échec

C'est un échec de l'Europe de n'avoir pas su accorder un peu de considération aux travailleurs. Car il est un fait incontestable : la préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs qui est l'objectif primaire de cette directive n'a pas vraiment été pris en compte par la plupart des négociateurs de cette réforme. Mais ce n'est pas un échec pour le Parlement européen.

La Commission antisociale

Les gouvernements (aidé par la Commission Barroso) qui refusaient de mettre une date limite à l'opt-out - dérogation à la limite hebdomadaire sur le temps de travail - qui permet de travailler jusqu'à 78 heures semaine - ne peuvent pas arguer de l'objectif de la directive. De même, la Commission en défendant mordicus la position des Etats membres de ne pas décompter les heures (passives) de garde au travail a légèrement oublié son rôle de gardienne des Traités pour s'avilir dans le rôle de gentil secrétaire des quatre volontés des Etats membres. Car la Cour de justice des CE a rappelé, à près d'une dizaine de reprises, sa position : on doit décompter toutes les heures de garde dans le temps de travail. En passant par-dessus la position permanente des juges, la Commission adoptait une position très politicienne plutôt que juridique.

Un succès pour le Parlement européen

Celui-ci a pu imposer sa volonté face à la plupart des gouvernements et à la Commission. Ce grâce à une large majorité qui rassemblait au-delà de la gauche, les démocrates et les réformateurs de droite. Ce qui est assez exceptionnel sur un sujet social. On peut dire que la campagne électorale arrivant a été un bon aiguillon dans cette position, radicale. Mais le Parlement européen a eu raison de s'arque-bouter sur deux principes : 1) toutes les heures de garde doivent être décomptées dans le temps de travail ; 2) il faudra bien, un moment, abolir ou du moins beaucoup plus sévèrement encadrer l'opt-out. Deux principes qui correspondent non seulement à l'intérêt des salariés, mais à l'objectif européen de départ. Les concepteurs de l'opt-out, au moment de la négociation de la première directive sur le temps de travail, dans les années 1990, avaient bien conçu cette dérogation comme de durée temporaire, nécessaire pour rallier le Royaume-Uni à la législation européenne et lui donner le temps d'adapter sa législation).

Et maintenant que se passe-t-il ?

On reste à la directive sur le temps de travail de 1993 - revue et codifiée en 2003 - telle qu'interprétée par la Cour de justice des CE. C'est-à-dire : 1) toutes les heures de garde doivent être décomptées dans le temps de travail ; 2) l'opt-out est conservé. Est-ce vraiment aussi dangereux que la Commission européenne le prétend, estimant les Etats qui le voudront pourront utiliser l'opt-out pour contourner la jurisprudence de la Cour de justice des CE, et que cela va développer la précarité pour les travailleurs.

Je ne le crois pas pour plusieurs raisons, juridique et politique.

1° L'opt-out, en bonne interprétation juridique, devrait être, comme toute dérogation, strictement interprété et son usage limité, ce d'autant que l'objectif de la directive reste la santé et la sécurité. La Cour pourrait ainsi conduire à limiter strictement cet opt-out. Et la Commission pourrait être conduite à traîner devant les États qui abusent de l'opt-out devant la Cour de justice des CE.

2° Sur le temps de garde, la Commission va être obligée de traduire devant la Cour tous les États qui sont en infraction (en gros quasiment tous les États). Ce qui va amener la Cour à repréciser la jurisprudence. Et Les Cours nationales vont pouvoir appliquer sans coup férir la jurisprudence de la Cour sur les temps de garde. Ce qui va changer le rapport des forces entre les employeurs (publics souvent) et les travailleurs.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Article publié en premier lieu sur le blog 'Europe sociale'

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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