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La transformation aléatoire de la mission Althea

(B2)La ministre tchèque de la Défense, Vlasta Parkanova, était peut-être légèrement optimiste jeudi dernier, lors du Conseil informel des ministres de la Défense, lorsqu'elle affirmait que les Etats membres étaient d'accord sur l'avenir de la mission militaire européenne "Althea" en Bosnie-Herzégovine (lire ici). De fait, il semble plutôt que certains Etats membres soient en désaccord sur cette question. L'unanimité étant requis en la matière, cela signifie qu'il n'y a pas accord... Sur le projet de reformatage de la mission et l'effectif des troupes actuelles, voir un précédent article.

Plusieurs Etats - particulièrement l'Autriche, la Slovaquie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni - contestent, en effet, la réduction du format et le changement de mandat d'Althea en mai. Au contraire, d'autres Etats - notamment l'Espagne, la Finlande et la France - sont partisans d'un retrait rapide d'une grande partie de leurs troupes, à la fois pour des raisons politiques, opérationnelles et financières. Plusieurs autres Etats - Italie, Hongrie,... - sont plutôt entre les deux camps.

Les avis en présence

Les premiers estiment que ce retrait pourrait entraîner une instabilité du pays et qu'il y a un lien, nécessaire, entre la mission et le mandat du Représentant de l'UE / Haut représentant de la Communauté internationale (OHR). Or on sait que les USA et la plupart des pays occidentaux (contrairement à la Russie) sont contre la fin du mandat de l'OHR, du moins dans l'immédiat. Un nouveau Représentant de l'UE, l'Autrichien Valentin Inzko vient d'ailleurs d'être nommé. Cette position s'explique pour différents motifs : stratégique et historique pour l'Autriche (pays voisin qui a accueilli nombre de réfugiés bosniaques pendant la guerre de Yougoslavie, et ancienne puissance tutélaire du pays) ; politique pour la Slovaquie (le nouveau Ministre des Affaires étrangères, Lajcak, était il y a peu l'OHR ; la Slovaquie vient d'envoyer de nouveaux moyens pour Althea), historique pour les Pays-Bas (le souvenir de Srebrenica), de principe pour le Royaume-Uni (qui a une position quelque peu contradictoire, ayant déjà retiré ses troupes).

• Les seconds partagent un sentiment inverse. Ils estiment que les deux dispositifs - militaire d'Althea et politique de l'OHR - ne sont pas liés et qu'il est nécessaire de procéder maintenant à une diminution des forces engagées - parce que la situation politique et militaire a changé depuis 5 ans, que le risque a diminué et que les besoins sont ailleurs. Tout cela dans un contexte de pression financière et opérationnelle qui pèse sur les forces engagées sur place.

Faute d'accord entre les deux camps, c'est le statu quo qui l'emporte. Concrètement, chaque pays, sur une base unilatérale, pourrait décider de retirer certaines troupes (ou, du moins, d'envoyer moins de relèves). Sans le dire, on aboutirait alors, plus ou moins rapidement, à une diminution du mandat de la mission, mais de façon discrète. Cela n'est pas vraiment sain. Mais là encore, deux points de vue peuvent être considérés. Soit on considère qu'un retrait désordonné et unilatéral causerait autant (voire davantage) de dégâts qu'un retrait bien ordonné. En outre, il ne provoquerait pas parmi les Bosniaques un choc salutaire pour se dire: "il est temps de prendre les choses en main". Soit on considère que cette décrue, sans trop de publicité, évite l'effet boomerang d'un retrait massif, public, décidé en une fois. Et a également un avantage politico-militaire : il permet à l'Union européenne - comme à l'OTAN - de conserver sur une opération militaire (la seule opération d'ailleurs) une coopération structurelle entre les deux organisations européennes de sécurité, puisque la mission Althea est faite sous Berlin plus - c'est-à-dire avec les
moyens de commandement de l'OTAN.

Berlin Plus est-il vraiment nécessaire en Bosnie ?

Personnellement, je ne pense pas que Berlin Plus soit nécessaire pour l'opération en Bosnie. Ou du moins, je ne le pense plus. Si ce dispositif était tout à fait logique et utile quand il a été conçu - en décembre 2002 - car il répondait à une lacune de l'Union européenne (le manque de moyens de commandements), il me semble beaucoup moins pertinent aujourd'hui pour deux raisons essentiellement :

1°) L'UE est désormais en capacité de mener toute seule une opération militaire (voire deux en même temps) d'une amplitude moyenne — le Tchad l'a prouvé, l'opération EUNAVFOR le prouve encore —; voire de missions civiles - à forte imprégnation militaire ou de maintien de l'ordre — comme la mission Etat de droit EULEX au Kosovo ou la mission d'observation Eumm en Géorgie.

2°) Berlin Plus ne se révèle, en fait, adapté qu'à un certain genre de situations : a) quand il y a une forte présence militaire de l'OTAN, b) dans une zone où la relève par l'Union européenne est possible au plan militaire ET politique : c'est-à-dire en gros uniquement dans les Balkans. Ainsi la seule zone où le dispositif Berlin Plus pourrait encore être applicable (à part la Bosnie) serait le Kosovo. Et on pourrait légitimement se poser la question de savoir si l'UE ne devrait pas succéder à la KFOR, d'ici un ou deux ans par exemple.

3°) D'ordinaire, les missions de restructuration ou de conseil à la sécurité ou à l'armée sont des missions "civiles" (cf. Congo et Guinée Bissau, en ce moment).

En première conclusion, je pourrais donc dire : conserver le dispositif de Berlin Plus aujourd'hui pour une mission Althea Bis paraît à la fois disproportionné et inutile. L'UE est, tout à fait, en capacité d'opérer et commander une force "non exécutive" de conseil à l'armée bosniaque, d'à peu près 200 personnes.

 (NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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