B2 Le Blog de l'Europe géopolitique. Actualités. Réflexions. Reportages

Actu BlogDéfense UE (Doctrine)

L’OTAN: une “amicale” dont le fonctionnement doit être revu

(B2) L'OTAN est à la recherche d'une nouvelle existence. A nouveau ! Prise à revers par la chute du mur de Berlin, en 1989, l'Organisation euro-atlantique avait redéfini une stratégie et visait à déployer sa capacité d'action dans le monde, comme une force d'appui démocratique, d'intervention tout azimut. Elle envisageait son action de manière globale. Action militaire directe, formation et restructuration des armées, aide à la police, sécurité civile, etc., il semblait peu de domaines qui n'échappent à sa vigilance. L'organisation s'est aussi élargie physiquement, par le biais d'élargissements successifs, gagnant quasiment tous les Etats du continent européen (et même ailleurs, "Partenariat pour la paix" aidant). Et elle s'apprêtait à "grignoter" sur les terres proprement "russes" en préparant l'adhésion de plusieurs Etats ex-soviétiques.

Et, soudain, vint la Géorgie... Le coup de force de la Russie en Géorgie a marqué un coup d'arrêt, comme un retour à la réalité, à des limites très pragmatiques. A quoi sert d'intervenir à 5.000 kms du coeur de l'Europe, pour stabiliser un pays lointain. Si on n'est pas capable d'intervenir, ni politiquement, ni militairement, aux frontières par rapport à un pays perçu comme une "menace" par plusieurs des membres de l'Organisation. Il ne faut pas se cacher, en effet, que, face à ce conflit russo-géorgien, dans un pays candidat à l'adhésion, l'OTAN est restée l'arme au pied. Quelques déclarations politiques ont bien été assénées publiquement. Mais rien de plus. Ce sont, en fait, les Américains qui ont décidé d'envoyer leurs bateaux pour des livraisons "humanitaires".

Et, puis, revint lancinante la question de l'Afghanistan.
Car, personne n'ose l'avouer. Mais, en Afghanistan, la stratégie globale de l'OTAN (largement impulsée par les Américains) commence à ressembler à un échec global. Et les Alliés se retrouvent enlisés dans un pays, dont on commence seulement à saisir toute la complexité. Incapables de se retirer, car l'armée et la police afghannes ne semblent pas en capacité de prendre le relais. Réticents à envoyer des renforts, surtout en sachant que le prix (budgétaire, humain, politique) peut très vite dépasser les capacités des alliés, et surtout leur volonté. D'autant que les résultats sont loin d'être probants. Avec la multiplication des décès militaires, et des pertes civiles, l'intervention en Afghanistan - la seule opération d'importance de l'organisation (avec le Kosovo) - est en train de virer au cauchemar. Plusieurs raisons y conduisent, tenant au terrain lui-même, à l'impréparation stratégique et à une trop grande sûreté dans ses objectifs - vouloir amener la démocratie par la force des armes est toujours risquée ! De tout cela, l'Organisation a parfois débattu en interne, mais jamais publiquement.

Au moment où la France réintégre l'OTAN, il est légitime de se poser quelques questions. Qui, je l'espère, pourront non seulement être débattues lors du conseil informel des Ministres de la Défense de Cracovie (jeudi et vendredi) mais de façon publique. Non seulement en France mais dans plusieurs pays européens.

1) Est-elle utile ? Sans doute. Mais pour quoi faire ? La question mériterait d'être posée.

2) Quel est l'objectif, le champ d'action ? Et où doit agir l'OTAN ? Se recentrer sur la défense territoriale, l'organisation et la coopération entre armées alliées ou continuer à demeurer un bras armé opérationnel, à géométrie variable au niveau mondial. La raison, comme l'efficacité, inclineraient au premier objectif, plus raisonnable mais sans doute plus "durable".

3) Cette organisation militaire ne mérite-t-elle pas de revoir son fonctionnement ? Peut-être que parmi les 16.000 agents qui travaillent dans ses bureaux et dans ses Etats-majors, c'est un peu disportionné par rapport à la situation actuelle et au moment où la crise économique frappe durement des budgets ? Et pour quel rendement ? Tout cela mérite interrogation. Pour éviter - comme le racontait un officiel français de haut rang : "l'OTAN est l'endroit idéal pour parfaire son score au golf...".

4) Enfin, et surtout, il faut reconsidérer le statut même de l'OTAN. Cette organisation, née de la guerre froide, d'essence purement militaire, ce "club" d'alliés où la prédominance des Etats-Unis était non seulement naturelle mais recherchée, s'est peu à peu transformée en une organisation politique pluraliste. Sans pour cela adapter ses structures, son essence, son statut à un monde moderne, plus exigeant. Aujourd'hui elle continue ainsi de fonctionner comme une "amicale" dont les décisions se prennent de façon opaque (plutôt de "manière informelle" * comme on se plait à le répéter au siège de l'Otan). Elle n'est soumise à aucun réel contrôle politique (pas de procédure d'élection ni de nomination) et surtout à aucun réel contrôle démocratique. Il n'y a pas d'assemblée qui autorise les dépenses ou les opérations, ou les contrôle. Il n'y a pas de juridiction compétente, vers lequel on puisse contester la régularité de ses actes. Il n'y a pas de journal officiel qui publie ses normes et décisions. En fait, au nom du "secret défense" - aujourd'hui dévoyé pour couvrir toute une série d'activité, légitimes souvent, contestables parfois, l'OTAN est tout simplement une organisation à l'existence douteuse d'un point de vue juridique, hors de "l'Etat de droit". Cela il est urgent de le résoudre...

(NGV)

---
(*) L'exemple le plus patent en est la nomination du Secrétaire général qui n'obéit à aucune règle, comme me l'a raconté un connaisseur de l'organisation. "C'est une procédure informelle. La décision est prise par consensus au niveau des ambassadeurs ou des ministres à un moment donné quand on se met d'accord sur un candidat. Pour l'instant il n'y a pas de candidat déclaré". En fait on "attend que quelqu'un se déclare. Il n'est pas bon d'être candidat trop tôt. Mais surtout, on ne connaît pas la position de l'administration américaine". Et il est clair dans l'esprit de chacun que "l'opinion américaine comptera beaucoup pour savoir si ce candidat a une chance d'être admis" ou non... Qui va avaliser cette nomination ? Personne. Pas une assemblée. Pas un Conseil officiel. Personne. Quand on compare avec les procédures européennes de nomination du président de la Commission européenne (ou du Haut représentant - version Lisbonne), si souvent décriées, mais qui sont somme toute largement plus démocratiques (avec audition devant le Parlement européen, etc.), on est là entre le jour et la nuit.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

s2Member®