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Le couple Merkel-Sarkozy se réapproprie la sécurité européenne


A la veille de la conférence de Münich sur la sécurité, c’est un profond engagement pour la sécurité européenne que viennent d’affirmer la Chancelière allemande, Angela Merkel, et le Président français, Nicolas Sarkozy, en publiant dans plusieurs journaux européens (Süddeutsche Zeitung et Le Monde), ce qui peut être assimilé à une véritable profession de foi. Au passage, les deux dirigeants français et allemand qu'on disait en mauvais termes, et qui n'ont cessé d'aligner depuis plusieurs mois leurs divisions, affichent leur unité. Ce qui n'est pas mauvais tant sur le plan de la politique interne qu'au niveau de l'Union européenne ou dans le dialogue futur face aux Etats-Unis. Mais foin de considération politicienne, il y a plus important.

  • Une forte symbolique et un nouveau couple franco-allemand ? Au-delà du contenu précis de cette déclaration, on peut constater, en effet, la forte symbolique qui traverse ce texte.
  • Symbolique européenne d'abord. A mon sens, ce texte pourrait être classé au rangdes grandes déclarations européennes sur la sécurité comme la déclaration franco-britannique de Saint-Malo ou la déclaration de Bruxelles sur la politique européenne de défense. Et il pourrait constituer la base de départ d'une future discussion à trois - Russes, Américains et Européens - sur un nouveau pacte pour la sécurité européen.
  • Symbolique philosophique ensuite.Quand les deux dirigeants européens concluent qu'à défaut de « meilleur des mondes », comme l’avaient souhaité les philosophes Leibnitz et Voltaire (*), ils appellent à un monde où progresseront la « paix et la sécurité pour tous », on a ici à la fois une terminologie très "chrétienne" - reprise par le Pape dans plusieurs discours -, très "onusienne" également - elle a été utilisée mot pour mot au sommet du G7 de Londres en 1991 dramatique, on était à la veille de la première guerre d'ex-Yougoslavie) - et a été reprise récemment par Obama sur la situation au Proche-Orient - dans son interview à El Arabiya.
  • • Symbolique franco-allemande, enfin. Présente jusque dans les moindresdétails. Les deux écrivains qui forment la
    conclusion des deux chefs d'Etat et de gouvernement n'ont pas été choisis au hasard : Leibnitz a été diplomate en poste à Paris durant quelques années ; et Voltaire, ami du Frédéric II, a passé quelques années à Berlin, comme chambellan. Mais, surtout quand les deux leaders annoncent que, dorénavant, des militaires allemands, de la Brigade franco-allemande, seront établis de manière permanente en France, ce geste n'est pas anodin. Surtout quand on sait que ces soldats pourraient être stationnés à Strasbourg (selon mon confrère Merchet), et même si près de 65 ansont passé depuis la réintégration à la France de ce territoire âprement disputé entre la France et l’Allemagne.
  • • Est-ce le début d'un nouveau couple franco-allemand comme avec Mitterand-Kohl ou Giscard-Schmidt ? On peut (veut) y croire. Car la France et l'Allemagne ont ceci de peu commun en Europe : ils ont quasiment tout en différent et sont faits pour être antagonistes, comme l'eau et le feu. Résultat : quand ils s'entendent, il est difficile à quiconque en Europe de s'y opposer. C'est en cela que le couple franco-allemand est réellement le moteur européen. Et le seul possible sans autre alternative, à mon sens, les dernières dix années (notamment avec le Premier Ministre Blair) l'ont prouvé.

Les Européens se réapproprient LEUR sécurité. La force des mots employés montre une volonté nette de réappropriation de la sécurité du continent par les Européens. « Nous, Européens, nous devons parler davantage d'une voix forte et unie, ce qui exige de la part des Etats membres un haut degré de cohésion dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). De même, nous devons accroître et mettre en commun nos capacités militaires et civiles, au service d'une politique d'avenir pour la sécurité de l'Europe ». « Nous sommes convaincus qu'il est dans notre intérêt de faire de la construction européenne et du partenariat atlantique les deux faces d'une même politique de sécurité. »  Cette sécurité se doit d'être large. « Notre politique de sécurité doit être définie de manière plus large. Outre les questions proprement militaires, elle doit prendre en compte la situation financière internationale, les approvisionnements énergétiques ou les questions migratoires. » Ce qui correspond à l’analyse du Haut représentant pour l’UE, Javier Solana, présentée aux 27 au Sommet en décembre.

Débattre de l'avenir de l'OTAN. Les deux dirigeants appellent ainsi lors du prochain sommet de l'Alliance Atlantique (en avril à Strasbourg-Kehl) à avoir des « débats stratégiques et de les traduire par des choix politiques. » « Il ne s'agit pas de réinventer les principes fondamentaux de l'Alliance, ceux du Traité de Washington, et la communauté de valeurs et la solidarité qui nous unissent. Il s'agit, comme nous l'avons déjà fait dans le passé (en 1991 et 1999), de débattre sans œillères pour donner de nouvelles orientations et transformer l'Alliance de manière crédible De même, est rappelée la nécessité de débattre d’une approche commune politique et militaire en Afghanistan. Enfin la déclaration pointe du doigt l’échec du « partenariat stratégique entre l'OTAN et l'UE (qui) n'est pas à la hauteur de nos attentes, en raison de désaccords qui persistent entre certaines nations ». « Nous pensons que cela doit évoluer. » ajoutent Merkel et Sarkozy.

Et une main tendue à la Russie. Le langage est aussi important vis-à-vis du voisin russe. « Notre alliance est une alliance défensive, dont l'unique ambition est notre sécurité commune face aux menaces du monde » expliquent-ils. « Mais nous sommes aussi en droit d'attendre de la Russie qu'elle démontre son respect pour les normes et les règles à l'établissement desquelles elle a contribué, par l'Acte final d'Helsinki et la Charte de Paris en 1990 ». Si les deux dirigeants européens rappellent la Russie à ses obligations internationales, notamment le « respect de l’intégrité territoriale » en Géorgie, l’appel du pied est aussi clair.

En premier lieu, l’Ukraine et la Géorgie se voient signifier qu’elle n’entreront pas rapidement dans l’OTAN (ni dans l’UE d’ailleurs). « Pour devenir membre de l'Alliance, il y a des critères; cela implique d'abord d'être capable d'en assumer les lourdes responsabilités, d'apporter une contribution réelle à la sécurité des alliés, et de partager leurs valeurs ». Et, cet « élargissement doit contribuer à la stabilité et à la sécurité du continent, qui bénéficie aussi à la Russie »… A mots choisis, cela revient à introduire un nouveau critère d'adhésion à l'OTAN et à reconnaître à la Russie un droit de regard sur l’élargissement aux ex-républiques soviétiques.

En deuxième lieu, la proposition Medvedev d’une discussion sur la sécurité européenne est acceptée. « Nous voulons un dialogue politique et de sécurité plus étroit entre l'UE et la Russie, qui permette de l'impliquer plus avant dans l'espace de sécurité euro-atlantique », notamment dans le processus de désarmement. Un point de vue partagé dans les institutions de l’UE, chez José-Manuel Barroso et chez Javier Solana.

Enfin, il s’agit de relancer le processus de maîtrise des armements – « Il n'est plus nécessaire aujourd'hui de conserver des arsenaux énormes, et l'objectif doit être un niveau de stricte
suffisance
» - d’aider à la relance des négociations Usa-Russie sur la réduction des arsenaux (Start) – « pour lesquels l'Allemagne et la France espèrent des résultats concrets dans les
prochains mois
» - et de « sauvegarder le régime de limitation des forces conventionnelles en Europe » - il faut créer un dialogue avec la Russie sur les conditions d’une ratification
du Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE), modifié.

En échange de cette main tendue aux Russes, les deux dirigeants européens attendent d’autres pas. « Par exemple qu’une solution soit trouvée sur la Transnistrie afin de créer une atmosphère
différente ».

Le texte a été traduit en anglais par l'ambassade USA en France (traduction non officielle)

(Photo : Angela Merkel et Nicolas Sarkozy au dernier sommet européen, en décembre 2008, Bruxelles - Conseil de l'UE).

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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