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EUFOR Goma: la Belgique repart à l’assaut de la… lâcheté de l’UE!

(B2)Le Congo sera l'invité surprise de ce sommet européen. Les Belges sont en effet bien décidés à repartir à l'attaque. Karel de Gucht l'a répété devant la chambre des députés, le 10 décembre.

Le coup de ciseau est bien coordonné. Même si sur le plan politique interne les deux hommes ne s'entendent guère, Karel de Gucht et Louis Michel, chacun à leur manière, sont bien décidés à faire entendre raison à leurs homologues européens. A Karel de Gucht, ministre des Affaires étrangères, qui sera présent au Sommet européen, le soin "d'animer" le dîner des Ministres, en mettant la question du Congo sur la table. A Louis Michel, commissaire européen au développement et à l'action humanitaire, qui est justement en déplacement (un hasard!) ce jeudi à Kigali (Rwanda) et Goma (Congo RDC), d'alerter sur la situation humanitaire. Et elle n'est pas très glorieuse... pour l'Europe (lire plus loin).

De Gucht accuse. Devant la commission Affaires Etrangères / défense de la chambre des députés, le ministre belge des Affaires étrangères a mis chacun face à ses responsabilités. L'Allemagne,
le Royaume-Uni, la France en ont pris pour leurs grades (ce qui confirme les informations parues sur ce blog) : "La Grande-Bretagne dit ne pas disposer de troupes. Elle est pourtant actuellement à la tête d’un Battle Group. Cela signifie que celui-ci n’existe que sur papier, ce qui n’est pas le but. J’ai également été étonné de la position adoptée par l’Allemagne après mon entretien avec mon homologue allemand qui avait fait état de l’impossibilité d’obtenir un vote positif pour l’envoi de troupes au Congo immédiatement après avoir décidé d’une mobilisation supplémentaire en Afghanistan. Il faut peut-être en chercher la raison dans la différence d’appréciation qui peut exister entre un Secrétaire d’État, haut fonctionnaire reflétant davantage la position de l’administration, et un ministre. Quant à M. Kouchner, il dit que l’on ne peut pas répondre négativement au Secrétaire général mais tout le monde sait que son président y est opposé."  Faut-il un autre commentaire !

Le moment est bien choisi. On se rappelle que Solana a promis de rendre le rapport demandé par le Conseil des Affaires étrangères, le 8 décembre, d'ici la fin de semaine. Avec des éléments de réponse circonstanciés, assure-t-on au Conseil. En fait, les éléments de réponse existent déjà en partie, coté des groupes de travail (lire premiers éléments de réponse). Et c'est au COPS (mardi, mercredi ou/et vendredi) que le contenu de ce "rapport" va être évalué politiquement, en dégageant des lignes de force sur l'éventualité d'une mission. Tout dépendra alors des résultats du Conseil européen. Pour Karel De Gucht l'issue ne fait aucun doute "A un moment donné, l'Europe enverra une mission dans la région, étant donné qu'aucune solution politique n'interviendra sur place. (...) L'Europe ne pourra continuer à ignorer la demande d'intervention formulée par l'ONU. Cela aurait une incidence politique majeure sur la position de l'UE au sein de la communauté internationale." (lire le compte rendu de la commission)

Quelle force ? Les Belges sont prêts à fournir une bonne partie de la force (*), avec une contribution en "matière de transport aérien, d’instruction et de renseignement". Soit environ 400-500 hommes, selon le ministre de la défense belge, Pieter De Crem. Le complément pourrait être fourni par les Finlandais, Suédois, voire Irlandais (avec un soutien logistique espagnol ? et français ??). On arriverait ainsi à une force d'un millier d'hommes. Ce qui est un peu léger mais peut être suffisant pour une mission limitée : par exemple, protéger l'aéroport de Goma et effectuer quelques missions de sécurisation dans la ville (voire sur quelques autres axes).

Le Hiatus financier. Envoyer un homme revient à 100 000 euros par an, selon Pieter de Crem. Soit pour 400 ou 500 hommes, sur 4 mois, environ 17 millions d'euros. Or cette intervention "n'a pas été prévue dans le budget 2009 de la Défense" avertit de Crem " des moyens supplémentaires devront le cas échéant être libérés". C'est, en fait, le même problème dans tous les pays. Les finances. C'est pourquoi il est vital que les partenaires (allemands, britanniques...) disent "oui" à une opération PESD (même s'ils n'y participent pas directement), cela débloquerait le mécanisme "Athena" de financement commun - au moins sur une certaine partie des dépenses (Etat-major, moyens logistiques, de renseignement...). Autre problème : coté allemand, ils rechignent à faire - à nouveau ! un chèque (pour le Tchad, la contribution allemande est de l'ordre de 20 millions d'euros). Une autre option pourrait venir des Nations-Unies - qui indemnise les Etats-membres qui lui fournissent des troupes. Après tout la demande vient des NU et vise à pallier - pour une durée temporaire - au renforcement de la MONUC...

Une mission sous présidence tchèque ? Ce serait le moindre des paradoxes. La république Tchèque qui prend la présidence au 1er janvier, dont son président et le parti au pouvoir (ODS) ne cachent pas leur eurosceptiscime, et qui n'est pas vraiment un farouche militant de l'Europe de Défense... (lire un entretien avec un porte-parole de la défense tchèque) aura pour responsabilité de conduire l'Europe au Congo. Quelle claque pour la présidence française !

(*) Pour l'envoi des troupes, il faut l'accord du Parlement belge (nécessaire pour l'envoi dans les anciennes colonies). Lors du débat à la chambre le ministre des Affaires étrangères a d'ailleurs convenu qu'un accord du Parlement devrait etre nécessaire pour l'envoi de "toutes" les missions militaires.

Au Congo, la situation des droits de l'homme est grave.

Ce n'est pas une ONG qui parle. Mais très officiellement l'ONU. Plus précisément. Todd Howland, représentant du Haut commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme et directeur de la division de droits de l'Homme de la MONUC : « Je peux dire que la situation est grave, très grave. Il y a violation systématique des droits de l’homme. Ça peut être le droit économique, le droit d’intégrité physique ». Cas de tortures, viols, droits des détenus non respectés, le bilan est peu glorieux. Et personne n'est là pour rattraper l'autre : "Le CNDP (rebelles de N'Kunda), les Maï-Maï, les FDLR, les FARDC (armée "régulière" du Congo), la PNC, sont autant d’acteurs qui s’illustrent dans ces violations dans cette province, a-t-il relevé. (Lire ou écouter sur Radio Okapi)

Un véritable pogrom ? Le mot est lourd de sens. Mais il a été prononcé. C'est Georges Dallemagne, député belge chrétien-démocrate, qui l'exprime : "les 4 et 5 novembre, dans la région de Kiwanja et de Rutshuru, un véritable pogrom a eu lieu en dehors de toute action de combat." Et, de fait, on ne peut pas dire que l'Europe soit surprise. Selon certaines estimations (ONGs, ONU), près de 4 millions de personnes sont mortes au Congo depuis 1994, et les violences à répétition. Et les femmes violées se comptent en dizaines de milliers...

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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