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Le français, « langue morte » de la PESD ?

(BRUXELLES2) Au moment où se termine le Sommet européen, la présidence française va sans doute se targuer d'une réussite en matière de défense. Et effectivement le bilan est bon. Mais il est un sujet sur lequel son passage n'aura servi à rien: celui de la langue... Les règles de travail linguistiques dans la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) continuent de ne pas être respectées.

Soyons clairs ! Mis à part le secrétariat général du Conseil de l’UE, qui respecte scrupuleusement l’égalité entre les langues de travail (français et anglais au minimum), dans la plupart des autres agences de la PESD et des missions, l’anglais est non seulement majoritaire mais parfois unique langue parlée.

On peut le comprendre quand une mission se déroule dans un terrain anglophone comme en Irak ou Palestine. Et encore… C’est beaucoup plus difficilement explicable pour les agences – comme le Centre satellitaire basé en Espagne, l’Institut d’études de sécurité établi à Paris. Le summum est atteint à l’Agence européenne de défense, basée à Bruxelles, où toutes les communications sont effectuées en anglais. Ce qui est totalement anormal pour une Agence qui est composée de 26 Etats membres.

S’exprimer en français – par mail ou oralement – est non seulement « mal vu » mais impossible. Une anecdote. J’étais invité – avec deux autres collègues journalistes, pour parler de notre expérience "média"  devant certains officiers de presse (PPIO) des missions européennes et des ministères de la Défense des Etats membres. Ma collègue polonaise annonce qu’elle préfère s’exprimer… en français. Silence dans la salle. Puis gestes de dénégation de deux personnes qui disent « no no ». Explication : elles ne comprennent pas un mot de français. Résultat : tout le monde s’exprime en anglais.

Cette pratique est dommageable donc pour la pluralité des cultures. Elle est peu équilibrée mais totalement illégale, et en contradiction flagrante avec le principe de base européen, de non-discrimination, qui implique (notamment) que chaque citoyen puisse s’exprimer devant une institution ou agence communautaire dans sa langue et recevoir une réponse. NB : Afin de ne pas alourdir la charge pour certains organismes, il a été convenu depuis des années, que l’anglais, le français et l’allemand seront des « langues de travail » à la Commission européenne (qui gère l'aide humanitaire et la sécurité civile). L’anglais et le français sont des langues de travail au Conseil de l’Union européenne (qui gère plus la PESD). Aujourd’hui il faut le constater, c’est l’anglais. Un point c’est tout.

Et cette tendance n’est pas prête de se terminer... Dans la plupart des recrutements effectués, il est demandé un anglais excellent, et très rarement de parler le français (alors que dans la plupart des concours communautaires, sauf exception liée au poste, les deux langues sont alternatives, l'un ou l'autre). Si d'un point de vue de l'efficacité, il est logique qu'un organisme européen exige une seule langue, force est de reconnaître que cela donne un avantage net aux britanniques, et aux anglophones.

Une discrimination claire. Obliger à parler l'anglais dans son travail parait logique, obliger à parler anglais pour être recruté est anormal (1). Là aussi cette pratique me paraît non seulement peu équilibrée mais discriminatoire et illégale. Je ne parierai pas beaucoup de kopecks sur la régularité du concours si une plainte est déposée devant la Cour de justice européenne. Il y a fort à parier que celui-ci doive être annulé.

La Cour ne s'est pas prononcée directement sur cette question. En revanche, elle a reconnu le droit des candidats participant à un concours d'une agence, qui avait limité le recrutement à deux langues parlées, de porter plainte (elle a rejeté en revanche la plainte de l'Espagne, en tant qu'Etat car il ne pouvait attaquer sur une base juridique générale, arrêt du 15 mars 2005, Espagne / Eurojust, C-160/03). Plus récemment, elle a annulé un recrutement de l'Olaf, juste, parce qu'il n'avait pas publié son avis dans toutes les langues communautaires (arrêt du 20 novembre 2008, Espagne / Commission,  T-185/05)

(NGV)

(1) On peut d'ailleurs se demander s'il s'agit de question pratique pourquoi les organes européens ne font pas de la formation linguistique pour les personnes qui ne parlent pas la langue concernée.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

3 réflexions sur “Le français, « langue morte » de la PESD ?

  • Benoit de Chermont

    Je partage tout à fait votre opinion sur la nécessité de maintenir au moins deux langues comme langues officielles, gage, comme vous le dîtes, de la pluralité des cultures, nécessaire dans l’élaboration des décisions des instances de la Commission européenne.
    BC

  • Frédéric

    Mais ou donc passée la ”lingua franca” qui à fait que les devises de la Courronne d’Angleterre sont en Français 🙁

    A noter l’article sur l”impérialisme linguistique” du wiki qui reprend quelques bases du problèmes. 

Commentaires fermés.

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