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Récit de Géorgie 2: Kitsnisi, petit village miraculé

Un petit village entre Gori et Tshinkvali, dans l'ancienne buffer zone d'où les Russes se sont retirées. Pour y arriver, nous prenons une petite route entre les champs, à peine carrossable. Et nous arrivons à Kitsnisi. Ce petit lotissement de plusieurs immeubles d’un étage a plutôt bien résisté à la « dernière » guerre.

Etonnant ? Non pas tout à fait. Quand on traverse l’ancienne « buffer zone » (zone de sécurité), on ne peut pas dire qu’il y a eu une razzia complète. Mais on s’est battu. Chaque village compte au moins une, deux, trois maisons détruites, toit calciné, vitres arrachées, pierres éclatées (photo dans un autre village). Parfois plus. Mais je n’ai pas vu de village rasé. Les casernes et emplacements stratégiques ont été, en revanche, bien pilonnés.

Je débarque là un peu par hasard... grâce à une (charmante) confrère géorgienne, qui travaille aussi pour l’ONG Care, et m'a invité à la suivre (elle n’a pas dû trop insister!). L’organisation humanitaire distribue des ustensiles de cuisine, des couvertures. C'est la troisième fois qu'ils reviennent. L'aide est financée par le ministère allemand des Affaires étrangères, UsAid et la Communauté européenne. « J’ai choisi ce village car ils n’avaient rien reçu » m’explique le « distribution manager » de Care. Et effectivement, un habitant me le confirme. « C’est la première aide européenne que nous recevons, à part Israël ». Les habitants sont contents de nous voir. Nous y resterons de longues heures, instructives. Chacun tenant absolument à raconter son histoire. Et nous finirons par aller boire un café, manger des mandarines et des pommes chez un habitant.


Le lotissement a été
plus ou moins épargné par la guerre.
Une maison a certes été en grande détruite par une bombe. D’autres ont été endommagées. Les vitres ont été soufflées, et les murs un peu secoués, parfois bien fissurés, par les explosions. En ce jour de novembre, avec le soleil, quelque temps avant l’hiver, on remet en place les dernières vitres et coups de mastic pour que les maisons, avant l’arrivée de l’hiver. 17 bombes sont en effet tombées sur le village, venant du côté russe (ou géorgien peut-être aussi, car ils ont été pris sous le feu. « Quand j’ai vu arriver les Russes, j’ai été d'une certaine façon, rassuré » explique une habitante, « au moins on savait que les bombardements cesseraient ». Mais aucun habitant n'a été blessé ou tué.

Et  rien ou presque n'a été pillé. Quelques hommes sont restés ici durant les hostilités. Ils se sont caché dans les caves, les champs, ne revenant qu’à la nuit dans les maisons. « Le père de mon (gendre), un Ossète, est resté au village. Il a veillé sur les vieilles personnes qui restaient, pour leur donner à manger ». Boris, aussi, est resté au village. Sa femme arménienne qui est partie se réfugié à Ksalka, n’est pas revenue. C’est la seule à être décédée dans la guerre (de maladie). «  Les autres se tenaient informés par téléphone. « Les Russes ne nous ont rien fait, ils sont restés en dehors des maisons. Ils n‘ont rien pillé » témoigne un habitant. « Les Russes et Ossètes ne sont pas vraiment entrés dans le village, ils sont passés, ne sont pas entrés dans les maisons et sont restés à distance ».

Les gens heureux malgré tout. A ma question de savoir pourquoi ils rigolent autant, Asia me répond (elle est arménienne d’origine). « Nous sommes heureux car on n’a pas vu de personnes mortes, de sang, comme dans des villages voisins, on n’a pas perdu de voisins ». Elle ajoute « j’espère que çà se finira bien, et qu’il y aura la paix. Sans cet espoir, ce n’est pas possible de vivre ». Son caractère est plutôt trempé. « Quand elle était encore ici, elle a été sur le carrefour pour prier pour la paix. C’était très difficile. Mais j’étais sûr que si j’allais prier là, je
serai entendu ».




Des caractères trempés, il y en a d’autres. Comme Katuna, qui s’était réfugiée à Katuna, mais a décidé de revenir pour récupérer… les équipements de sa fille qui allait se marier à
Tbilissi (machine à laver, téléviseur, matériels ménagers…) qui étaient restés au village. « J’ai pris un taxi, a passé tous les checks points, les Russes m’ont laissé passée. Juste un coup d’œil. Les Géorgiens étaient plus soupçonneux. D’où je venais, pourquoi… ».

Une vraie mixité. Il faut dire que les 240 personnes qui vivent ici sont un vrai patchwork de nationalités. Des Géorgiens évidemment, mais aussi des Ossètes, Arméniens et même un bulgare et une Biélorusse. Une mixité qui les a peut-être épargné. Mais qui n’est pas rare en Géorgie, surtout dans cette région, où les mariages mixtes sont nombreux. D’ailleurs jusqu’au mois d’août, les mouvements, de part et d’autre de la « limite administrative », étaient courants. Les uns allant à Ergneti, pas loin d'ici. Les autres venant voir leurs familles ou acheter des biens à la ville (Tshinkvali). « Les Géorgiens et Ossètes vivaient vraiment amicalement » raconte une femme. « C’est la faute de la Russie ». Un sentiment assez partagé ici, semble-t-il. Car maintenant la frontière est fermée, hermétiquement close. Et même les "locaux" ne passent plus.




Ici la vie est rude et l'avenir difficile. L’eau est au puits. Le chauffage est au bois – que l’on coupe à l’extérieur. Il y a cependant l’électricité et la télévision. Et chacun est équipé d’un Gsm. Les voitures sont plutôt d’un autre temps – une Volga 91 par exemple – mais elles démarrent au quart de tour. Signe d’un entretien attentionné. La terre cependant aux alentours était assez riche. Mais les bombes ont tout brûlé. Les animaux ont fui. Certains récoltes (pommes, pommes de terre…) ont été détruites. Ou elles n’ont pu être récoltées et vendues comme d’habitude. Cela se traduit par une perte économique sèche pour ces habitants. « Quand viendra l’hiver, nul ne sait comment ces populations vont pouvoir vivre » me confie un responsable humanitaire.

(NGV)

Copyright photos - Ngv

Merci à Tako (pour sa traduction et ses explications), Mischka (notre chauffeur),

à Boris, Katuna, Asia, Shota, Vera, Valentina, Inga, Elen et tous les autres

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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