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Réunion informelle de Deauville, informelle vraiment!

(B2) Une rencontre informelle de Ministres, comme celle qui vient d'avoir lieu pour les ministres de la Défense à Deauville, les 1er et 2 octobre, c’est fait - comme son nom l’indique - pour que les Ministres puissent se parler sans détour, sans ordre du jour, sans papier à lire, de façon plus directe qu’en temps ordinaire, dans une réunion formelle.

C’est aussi fait pour ménager des moments où, de façon tout aussi impromptue, il puisse y avoir des échanges entre Ministres et journalistes. Pas automatiquement avec des prises de rendez-vous - comme c'est toujours possible, d'ordinaire, dans toutes les rencontres formelles et même en dehors.

Il est ainsi possible de rencontrer de façon inopinée un chargé de mission chypriote, tchèque ou allemand, qui pourra vous éclaircir un point, compléter une information, vous donner des éléments de contexte national, auxquels vous n'auriez pas pensé spontanément... Tout çà parce que vous avez la possibilité d'échanger un ou deux mots sur un coin de table ou autour d'un café. Cela participe de ce qu'on appelle le background, à croiser les sources. La base du métier.

Cette heureuse tradition qui faisait le charme des rencontres européennes se perd

La réunion informelle de Deauville au niveau des Ministres de la Défense l’a prouvée. L’organisation était impeccable (le wifi marchait - ce n'est pas le cas de toutes les rencontres de la présidence française !), le personnel mis en place par le service de presse des Armées (Dicod) était serviable, disponible, efficace (un peu trop même -:). Là n’était pas le problème…

Mais on avait bien pris soin de bien isoler chaque espace : d’un coté les journalistes, de l’autre les Ministres et leurs conseillers. Aucun espace – type cafeteria, no man’s land – pour que les premiers puissent rencontrer, informellement, les seconds. Une tendance naturelle désormais dans nombre de ces rencontres.

Raison de sécurité m'a-t-on expliqué…

Cette satanée sécurité a décidément bon dos. Car il faut préciser que n’entre pas dans ce type de réunion n’importe qui : il faut s’inscrire auparavant, montrer patte blanche (passeport, carte de presse, accréditation etc…), puis passer les contrôles électroniques (comme dans tout aéroport), et enfin il y a une présence très large de personnels de sécurité. Et, puis, pour tout dire, il y a avait assez peu de journalistes à cette réunion (une cinquantaine), dont la plupart sont des têtes connues des responsables de presse. Autant dire que, pour commettre une agression, il faut être suicidaire.

Entendons-nous bien : il ne s'agit pas ici du "petit" confort du journaliste. Mais de l'accès aux sources d'information. De façon libre et sans contrôle de tel ou tel.

Un objectif très politique

En fait, la raison de tout çà est plus prosaïque. Il s'agit tout simplement de contrôler la communication, de n'avoir qu'une parole, celle de la présidence. Cette tendance s'inscrit régulièrement, dans une tendance à de plus en plus contrôler cette communication, ce groupe de journalistes "bruxellois", un peu indiscipliné, qui travaille souvent en pool, de concert (s'échangeant ou vérifiant des informations) qui gêne totalement les logiques de communication.

Cette volonté de contrôle de l'information existe, indéniablement, à la présidence française de l’UE. Soyons honnêtes : toutes les présidences de l’UE ont cette tentation. Et, même la Commission européenne - auparavant réputée pour son ouverture et sa transparence - se ferme petit à petit, verrouille ses portes.

Seules certaines présidences, souvent de pays dits « petits », comme la Belgique, le Luxembourg, la Finlande, le Portugal…, savent bien faire cela. Elles assurent une sécurité "cool" (mais efficace) en laissant des espaces mixtes où journalistes et officiels peuvent se rencontrer, tout aussi informellement (de façon très limitée tout même). Au final, elles arrivent à donner une image "sympa", "rassurante", "efficace" de leur pays. La France, qui place sa grandeur et son prestige un peu haut, un peu trop haut peut-être, est plus « rigide » et au final, moins efficace.

Le Morin immanent

Et avec le Ministre de la Défense français, c'était clair. Voulant réussir son examen de passage dans son fief, la Normandie (dont il est un élu local, à Epaignes), Hervé Morin ne souhaitait entendre qu’une seule voix : la sienne. Il ne s’agissait pas qu’un journaliste vienne accoster un Ministre. Et en rapporte une déclaration contradictoire qui vienne briser le message principal décerné à satiété: « Excellente ambiance, unanimité, consensus, tout le monde (ou presque) est d’accord » revenus en permanence dans sa bouche. Tout va bien. Et surtout que rien ne vienne gâcher l’engagement annoncé par le président français, Nicolas Sarkozy : il y aura retour à l’Otan si il y a un progrès de l'Europe de la défense. Le progrès est constaté. Donc on peut revenir à l'Otan.

Au passage, le Ministre a piétiné les engagements présidentiels, de mener une présidence modeste et en collaboration avec ses partenaires. Le trio de présidences (Tchèques et Suédois) n’était ainsi nullement représenté à la conférence de presse. Quant à la présidence « modeste », il faudra repasser ! Quelques perles du Ministre (publiques) : « Je ne mens jamais c’est çà l’avantage ». Erasmus militaire « c’est sorti de mon imagination ». etc.

(Nicolas Gros-Verheyde)

Lire le compte-rendu officiel de la réunion "des avancées significatives"

Photo : présidence française UE / Ecpad

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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