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Asie

F. Vendrell: les Européens doivent revoir la stratégie en Afghanistan


(B2) Francesc Vendrell a fait, récemment, ses adieux à la presse internationale de Bruxelles. Envoyé spécial de l'Union européenne en Afghanistan, c'est un fin spécialiste du pays qui quitte son poste. Il y était depuis 2000, au titre de l'Onu d'abord, puis de l'Union européenne ensuite (à partir de 2002). C'est aussi un homme qui ne mâche pas ses mots et incite à revoir de fond en comble la stratégie menée par les Occidentaux en Afghanistan mais garde tout de même une part d'optimisme, lucide.

La situation n’est pas bonne.
La situation est mauvaise depuis les dernières 3 années dans le sud. Dans d’autres zones, c’est moins clair. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut perdre l’Afghanistan, le laisser tomber. Non. C’est une période difficile. On doit maintenir la présence en Afghanistan, une présence aussi militaire. Mais il faut comprendre qu'il n’y aura pas une solution militaire, il faudra une solution politique. On doit revoir notre stratégie.

Une stratégie globale.
Il faut une "approche plus générale". Il faut aussi couvrir les problèmes du Pakistan, où les problèmes sont similaires. Il faut agir sur les sanctuaires où se réfugient les talibans. Le Pakistan et l’armée semblent avoir perdu le contrôle de larges zones, le Fata (les Régions tribales), la province de la Frontière du Nord-Ouest, le Baloutchistan. On doit vraiment aider le Pakistan à mettre fin à sa paranoïa, à se croire pris en sandwich entre l’Inde et l’Afghanistan. Il faut aussi travailler avec l’inde, encourager le leadership indien, son gouvernement à montrer plus de flexibilité sur le Cachemire. Il existe un lien - pas complet -, mais un lien tout de même entre le Cachemire et l’Afghanistan. Enfin, l'Iran joue un rôle, et on a véritablement besoin de son aide. Nous devons lui donner un rôle original.

Diminuer l'aide militaire non, mais augmenter l'aide civile oui.
Je ne suis pas d’accord pour diminuer notre aide militaire. Mais je suis d’accord pour avoir une augmentation de l'aide civile. Il faut souligner qu'en 2002-2004, on n'avait presque rien fait pour éviter la résurgence des Talibans. Les Américains avaient seulement une petite force dans le sud du pays. Et ils les ont utilisé pour gouverner l’Uruzgan. Résultat une augmentation de la drogue et mauvaise gouvernance. Pour moi c’est donc évident qu’on en soit arrivé à cette situation. Au niveau strictement militaire, je ne vois aucune chance d'une victoire des talibans, ils ne peuvent atteindre Kaboul et ne tiennent pas les principales villes. Mais la situation politique comme militaire est très mauvaise. Et l’un tient l’autre. Car la population peut être désillusionnée sur la capacité de son gouvernement à tenir ce qu’ils espèrent, la paix, le développement économique, en particulier. Vous ne pouvez pas sauver l’un sans l’autre.

Eupol, la mission de police européenne, une des choses les plus difficiles.
La mission "Eupol" est une opération autonome. Mais rétablir une police, efficace, démocratique, c’est une des choses les plus difficiles, avec le judiciaire, à réaliser dans une zone de conflit. Il faut un engagement à long terme. Nous espérons franchement des changements. Tout seuls nous ne pouvons pas changer.

L'Otan doit revoir ses règles d'engagement : bombarder les civils, c'est une "erreur grave de stratégie"
Ce serait très bien si l’Otan changeait son approche, ses règles d’engagement, notamment vis-à-vis des civils. (Le président afghan) Karzai a raison de vouloir signer un accord Sofa (fixant le statut des troupes - jusqu'ici l'Afghanistan n'en avait pas). Cet accord devrait contenir certaines clauses qui clarifient les bombardements sur l'Afghanistan. Les attaques contre civils doivent être strictement limitées par le Sofa. C’est une erreur des militaires, de tous les militaires, c’est improductif. C’est une erreur grave de stratégie. Parfois il vaut mieux laisser 4 talibans, vivants, quitter un village que faire plusieurs dizaines de morts civils.

Vous pouvez aussi écouter Francesc Vendrell lors de son passage à la BBC pour l'émission HardTalk de la BBC.

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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