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Défense UE (Doctrine)

Leçons du conflit Géorgien pour l’Europe de la Défense



L'Europe a montré qu'elle était capable de réagir vite et de façon assez juste.
En évitant de se diviser. La guerre entre Géorgie et Russie avait nombre d'ingrédients pour que les Européens se déchirent, se divisent. Entre pro-Otan et pro-Défense européenne, pro-Géorgiens et pro-Russes, nouveaux et anciens Etats membres... les fractures pouvaient se réveiller. Et les certains analystes (qui en sont restés à l'Europe des années 1980) auraient pu gloser sur cette nouvelle preuve de "l'impuissance" européenne". L'effet est donc paradoxal. Mais la réalité est là.

Supérieur aux divergences, le sentiment de devoir "serrer les rangs" l'a emporté
• Face à la crise, face à l'importance du "voisin" russe, les 27 ont très vite saisi que, sans unité, ils seraient vaincus. Chacun avait ses références historiques. Un Ministre européen confiait justement au gymnich d'Avignon : quel que soit le camp où nous étions lors de l'action américaine en Iraq, l'Europe n'a pas pesé lourd, parce qu'elle était divisée, ne refaisons pas cette erreur aujourd'hui. D'autres se souvenaient, à juste titre, des difficultés de l'Europe dans les Balkans, en ex-Yougoslavie dans les années 1990 (Carl Bildt ou Bernard Kouchner, par exemple). Cette mémoire a pesé.

L'Europe à 27 fonctionne mieux qu'à 15, osons le dire!
• Ensuite, les nouveaux Etats membres - qui n'ont en fait que deux à quatre années de "communauté" à leur actif - se sont comportés avec un certain sens de responsabilité communautaire. On peut même dire que sans leur présence, la réaction européenne n'aurait sans doute pas été aussi pertinente. Certes les Baltes se sont émus, ont été très emportés (leur histoire ancienne d'appartenance à l'Urss justifie certainement cela), ont appelé à l'intransigeance. Mais ils ont été assez isolés. Passés les premiers jours, le gouvernement polonais s'est montré beaucoup plus mesuré. Tandis les autres Etats de l'Est - y compris la république Tchèque - avaient un comportement plus unitaire. Il est cependant un fait incontestable, l'expérience de tous ces pays, leur connaissance de la sensibilité russe a peut-être permis d'éviter deux écueils : attendre un peu trop, réagir mollement ou se lancer dans imprécations non suivies d'effet. Au final, l'Europe à 27 a - à mon sens - mieux réagi que l'Europe à 12 ou 15.

Une gestion de crise qui a passé la vitesse supérieure
• En matière d'action de crise, l'Europe a montré qu'elle était à l'âge adulte. L'Etat-major civil de crise (le CCPC) a subi, avec succès, son baptême du feu. Les procédures ont été plus qu'accélérées, subjuguées pourrait-on dire, et les délais ont été raccourcis au minimum. Les équipes du Conseil et du COPS étaient peut-être sur les "genoux" - ayant travaillé tout le mois d'août, les week-end, parfois très tard... Mais du coup, là où d'ordinaire il faut 3-4 mois, l'opération a pu être conçue, finalisée, décidée, et les observateurs déployés sur le terrain en moins de deux semaines. Une jolie prouesse qu'il faut saluer. Faut-il noter que dans le même temps, l'UE finissait de déployer une petite mission civile en Guinée-Bissau, recommençait le déploiement de la très grosse mission "Etat de droit" au Kosovo (la plus grosse mission civile jamais déployée par l'UE), et préparait une opération maritime au large de la Somalie. Le tout, on pourrait dire, avec les difficultés ordinaires à ce type de mission, mais sans vraiment de problème.

Les deux moteurs de l'Europe
Au passage, deux autres remarques institutionnelle, la machine européenne fonctionne désormais avec deux moteurs : celui de la Commission (dont on ne peut pas dire vraiment qu'il vrombisse, on dira plutôt qu'il ronronne) - pour les questions économiques et d'immigration - , et le moteur du Conseil - pour les questions de défense et de sécurité -. Si le premier a classiquement été dénommé de "moteur communautaire", le deuxième a incontestablement une origine intergouvernementale, (on décide entre Etats membres à 27 ou 26, à l'unanimité) mais il a un fonctionnement commun.

L'Europe ne doit pas baisser la garde
• Il faudra maintenant juger au temps. La mission des observateurs ne fait que commencer. Les provocations, de part et d'autre (notamment du coté abkhaze ou ossète), vont sans doute venir. Et il faudra voir comment l'EUMM Georgia "tient la route", comme elle opère alors avec sang-froid et réactivité. L'Europe ne doit pas baisser la garde. Elle devra peut-être envoyer dans la région d'autres renforts.Au niveau diplomatique, le rendez-vous de Genève, le 15 octobre, sera aussi déterminant pour voir si l'UE a les moyens d'imposer sa volonté.

Quant à la réaction de l'Otan, et aux rapports de l'UE avec elle, c'est une autre histoire... A suivre

(NGV)

Lire une première analyse sur le coup d'échec russe

Photo 1 : véhicules italiens embarqués à bord d'un cargo Antonov 12BP, le 23 septembre, Tbilissi.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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