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[Analyse] Conflit géorgien: leçons pour l’Europe. Demain, une UE à 37?

(B2) L'Union européenne peut-elle rester à 27, 28 ou 34, avec l'élargissement aux Balkans. Ou faut-il aller plus loin ? Élargir le glacis de paix européen ?

La question est maintenant posée après le conflit en Géorgie. Non pas de manière économique ou politique cette fois-ci. Après août 2008, faut-il prendre un tournant stratégique et se dire que l'Europe a intérêt à accélérer la stabilisation de sa zone de voisinage, autrement que par de "petits" accords d'association (comme celui promis à l'Ukraine) mais en changeant d'état d'esprit ?

Deux voies semblent possibles, à moyen terme :

- Soit on étend le projet Union pour la Méditerranée à la mer Noire. Cette stratégie est séduisante : il y a une continuité territoriale (au niveau marin) et un nombre de problèmes assez identique (minorités, immigration, conflit territorial). Et on donne à la Turquie un rôle central. Mais face à la nouvelle Russie, cette stratégie ne paraît-elle pas un peu faible ?

- Soit on rompt avec la théorie du gel de toute élargissement tant que la question des Balkans n'est pas résolue, plus ou moins engagé depuis 2004. Et on franchit résolument le pas. On tend la main à l'Ukraine, à la Géorgie - et donc aussi à la Turquie -, en entamant de façon résolue une négociation avec ses pays pour une adhésion, pleine et entière. Certes, économiquement, ces pays ne semblent pas prêts à s'intégrer (niveau de vie...). Mais d'un autre point de vue, ils apportent à l'Union européenne, une emprise stratégique inespérée. Ce nouvel élargissement permet d'avoir avec la Russie une véritable réponse, pacifique (contrairement à l'élargissement à l'Otan).

Cela ne risque-t-il pas de transformer, de paralyser le fonctionnement institutionnel de l'UE ? Il faut relativiser cette assertion, par un rappel à la réalité. Être à 25 puis 27, a posé des difficultés administratives et logistiques surtout (faire parler tout le monde autour de la table, assurer les traductions est une chose complexe...). Mais, les blocages ont rarement été politiques. Force est d'observer que l'Europe à 27 fonctionne pas plus mal qu'à 15.

Cet élargissement oblige cependant l'Union européenne à une nouvelle transformation : un vaste chantier !

On peut cerner trois axes principaux :

1° Adopter un fonctionnement interne plus démultiplié

Avec une Europe à 37, il n'est pas interdit de penser qu'une intégration plus poussée devrait se produire sur certains sujets entre plusieurs pays. Sur des questions fiscales par exemple, sociales ou de droit de la famille (comme l'exemple du divorce le montre). Cette "coopération renforcée" devrait être structurée de façon permanente sur certains sujets mais en respectant le triptyque communautaire : proposition de la Commission, décision au Conseil et au Parlement (mais avec les délégations des pays y participant uniquement), contrôle de la Cour de justice. On aurait une Europe à deux vitesses, voulue, décidée, organisée. Certains Européens, attachés à l'idée du "tous ensemble", pourraient y voir un recul. Mais mieux vaut deux vitesses avançant ... qu'une seule vitesse au point mort.

2° Avoir une politique de défense à l'age adulte

Cela signifie notamment une capacité d'anticipation plus forte sur les conflits (avec des forces de médiation sur un conflit gelé ou naissant), une augmentation significative du budget nécessaire pour la gestion de crise, et un contrôle plus important de ces opérations, par le Parlement européen (autorisation de l'opération,...).

3° Se doter en interne de dispositions plus fortes

Notamment en matière de préservation des droits de l'homme - en reconnaissant sans réserve la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme, en renforçant l'Agence pour les droits fondamentaux - pour en faire une vraie Agence capable d'intervenir sur des questions fondamentales et transnationales de violation grave des droits de l'homme, de saisir la justice.

Il est nécessaire alors que l'Europe ne s'interdise plus, comme aujourd'hui, de s'ingérer sur les questions de droits fondamentaux des États membres. Il est d'ailleurs curieux que l'UE s'intéresse régulièrement à la gestion des États membres quand il s'agit de questions économiques (mais pas de droits de l'homme), ou qu'elle donne des leçons de respect de droits de l'homme aux États extérieurs à l'UE et s'interdisent les mêmes questions à l'intérieur. Cf. à l'approche très timide de la Commission européenne sur les violations des droits des Roms en Italie, comme des homosexuels auparavant dans certains pays de l'est, ou des immigrés dans nombre de pays (France, Allemagne...).

(Nicolas Gros-Verheyde)


Dans les huit États membres qui frappent à la porte de l'UE, on peut distinguer deux vagues :

1° Les pays qui posent des problèmes limités d'intégration économique : Croatie (vers 2010-12, les négociations sont engagées), Monténégro et Serbie (dans la foulée, 2012-2014 dès que Mladic aura été retrouvé, mort ou vif), Macédoine (dès qu'elle aura résolu son problème de nom avec la Grèce).

2° Ceux qui posent des problèmes plus sérieux : Bosnie (si elle résout ses problèmes internes), Albanie (délicat économiquement) et Kosovo (délicat politiquement et économiquement). Le cas de la Turquie est à part tant les problèmes politiques au sein de l'UE qu'il pose sont importants.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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