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Asie

La “sale” guerre d’Afghanistan des Soviétiques, devient très actuelle

(B2) Si l'on veut comprendre un peu la guerre qui se mène actuellement en Afghanistan sous les couleurs de l'Otan - et qui peuvent mener des soldats à des actes extrêmes comme à Nangar Khel -, il faut relire absolument les "Cercueils de zinc" de Svetlana Alixievitch (republié chez Christian Bourgeois en 2002).


L'auteur - comme le présente l'éditeur - a démoli le mythe de la guerre
d'Afghanistan, en 1990 "des guerriers libérateurs et, avant tout, celui du soldat que la télévision montrait en train de planter des pommiers dans les villages alors qu'en réalité, il lançait des grenades dans les maisons d'argile où les femmes et les enfants étaient venus chercher refuge".

Depuis les années ont passé, les protagonistes ont changé et le contexte géopolitique et militaire est différent. C'est sûr. Mais les témoignages rassemblés sont très éloquents, et semblent terriblement actuels.

Par exemple, sur le cycle attentat-représailles.

• Une employée : "Pourquoi nous mettions-nous à haïr ? C’est très simple. Un camarade était tué alors qu’on l’avait côtoyé, qu’on avait mangé dans la même gamelle. A présent, il était mort, tout brûlé. C’est très clair. A ces moments-là, on serait capable de tirer comme des fous. Nous ne sommes pas habitués à analyser les évènements pour en découvrir les causes et les coupables."

• Un lieutenant : "Pour le douch, toi, tu es un chouravi, un Soviétique, pas question qu’il ait pitié de toi. Ton artillerie a détruit son kichlak, et il n’a presque rien retrouvé de sa mère, de sa femme, de ses enfants."

Sur la discipline et le silence :

• Un soldat des transmissions : "Avant notre retour, l’instructeur politique nous explique ce que nous pouvons raconter et ce que nous devons taire. Pas le droit de parler des morts, parce que nous sommes une grande et puissante armée. Il ne faut pas se répandre sur tout ce qui n’est pas réglementaire, car nous sommes une grande et puissante armée, puissante et saine sur le plan moral. Il faut déchirer les photos. Détruire les pellicules. Ici nous n’avons pas tiré, pas bombardé, pas empoisonné, pas fait sauter. Nous sommes une grande et puissante armée puissante et saine sur le plan moral."

• Un lieutenant sapeur : "Personne n’a le droit de nous juger. (...) Personne ne veut comprendre cette guerre, on nous a abandonnés seul à seule avec elle. Qu’on se débrouille en somme. C’est nous les coupables, c’est à nous de nous justifier. Aux yeux de qui ? On nous y a envoyés. Nous avons cru ce qu’on nous a dit. Nous nous sommes fait tuer pour çà. On n’a pas le droit de nous mettre sur le même plan que ceux qui nous y ont envoyés."

Sur l'équipement des soldats :

"Les soldats s’habillaient se chaussaient, se nourrissaient par leurs propres moyens. Notre gilet pare-balles, on peut à peine le soulever tant il est lourd, tandis que le gilet américain ne contient aucune pièce métallique, il est fait d’une matière spéciale".

(Nb : demandez à un soldat, français, comment sont équipés nos soldats et vous serez surpris de voir qu'il pourrait ne pas renier totalement cette citation datant d'il y a 20 ans... Lire aussi un témoignage des Norvégiens).

Sur l'Afghanistan éternel :

• Un soldat des transmissions:  "Je discute avec un doukanier : « tu ne vivais pas comme il fallait. Nous, on va t’apprendre à vivre. On va construire le socialisme ». Lui, il sourit : « je faisais du commerce avant la révolution et je continuerai d’en faire. Rentre chez toi. Ici, ce sont nos montagnes. Nous nous débrouillerons sans vous… »."

Ou comme dit Spesserov cité par un conseiller militaire : « On ne peut pas acheter l’Afghanistan, on peut seulement le racheter à d’autres ».

A méditer ! On peut se demander quand nous aurons un travail identique fait sur l'intervention de la FIAS-IFAS si nous n'aurons pas les mêmes témoignages...

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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