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L’intervention en Afghanistan, c’est foutu ?…

(B2) L'intervention en Afghanistan - du moins dans son format actuel - serait-elle foutue ? Certains spécialistes stratégiques, et non des moindres, le croient... Certains parlementaires de retour de mission aussi...

C'est perdu ?

Je voudrais citer particulièrement Yves Boyer, le directeur-adjoint de Fondation de la Recherche Stratégique. Lors d'une séance de la sous-commission défense au Parlement européen, à Bruxelles, le 5 novembre 2007, il a été très clair : « C’est perdu ! Soit on met 500 000 hommes, des milliards d’euros pour construire totalement un pays, et on aura peut être quelques chances de l’emporter, d’ici... cinq ou dix ans. Mais, aujourd'hui avec 40 000 hommes, et 20 000 seulement opérationnels, je dis « good luck  ! ». Et je ne dirais que çà. ».

Quelques jours plus tard, toujours devant cette même commission, il précisait son propos critiquant l'absence de but précis à l'opération : "Est-ce vraiment la lutte antiterroriste ? Mais les terroristes sont aussi chez nous. Est-ce la chasse à BenLaden ? Si prouvé qu’il vive encore, quand on le trouvera, ce serait la fin de la présence internationale alors ?" Est-ce un objectif de reconstruction ? "Pour les Français cela rappelle un peu l’Algérie. Les teams de reconstruction, on connaît, et surtout on a vu le résultat. En Algérie, la France a gagné militairement mais perdu politiquement. Et cela a surtout entraîné une énorme crise. (En fait) Cela a aussi un parfum d’opération humanitaro-coloniale : on va les aider à se reconstruire, à faire comme il le faut". "Il y a des débats sous jacents que l’on n’a jamais tenu sur cette question" ajoute-t-il.

La solution militaire ne suffit plus

Quant aux experts américains, du Centre d'études stratégiques internationales (CSIS), spécialisé dans les questions militaires, ils ne sont pas vraiment plus optimistes. Cette guerre n'est pas gagnable avec seulement des moyens militaires" explique Anthony H. Cordesman, dans deux documents qu'il vient de publier, les 24 et 29 juillet 2008, dit-il, elle n'est pas gagnable, non plus, sans un changement du rôle que jouent les forces du gouvernement pakistanais dans les régions "tribales" et du Baluchi (les plus proches de l'Afghanistan) (2). Lire : Analyzing the Afghan-pakistan War ; Afghanistan: The Problem is Far More than Troop Levels.

"Qu'est-ce qui passe vraiment ?

C'est la question de Giulietto Chiesa (PSE, Italie) et de la plupart des parlementaires revenus d'une mission sur place début mai. Lors d'un débat qui s'est tenu au Parlement européen en juin, il a explicité sa position : "En voyant les journaux locaux, on voit des combats et des morts. Des combats qui mettent en cause des mouvements dont on entend peu parler, comme le Hezbi Islami (1) d'Hekmatyar, plus nombreux et présent sur le terrain (que les talibans). Il y a là-bas une vraie guerre entre l'armée afghane et l'armée pakistanaise." Quant au rôle de l'Europe. Il estime qu'elle "n’est pas aussi influente qu’elle pourrait l’être". "L’Europe est impliquée – militairement, politiquement - dans une guerre dont les décisions sont prises ailleurs. Nos diplomates, nos militaires nous l'ont répété : ce sont les Etats-Unis qui décident." Et de conclure : "Il faut réexaminer la stratégie politique en Afghanistan : de nombreuses années de présence sur place ont aggravé les choses. On n’a jamais avoué que c’était une erreur politique et militaire majeure."

Un échec aussi selon Ana Maria Gomes (PSE, Portugal) : "Le renforcement des institutions (afghanes) est un échec. On ne s’est pas attaqué aux éléments cruciaux : l’élément judiciaire a totalement été négligé. Il y a là une recette de corruption et d’impunité. Une impunité organisée  du pouvoir, des barons de la drogue ou chefs de la criminalité organisée. Le bras droit du président Karzai est impliqué dans le trafic de drogues, mais on préfère l’ignorer." Pour elle, il faut "se reposer la question de la stratégie". "La solution est avant tout politique et non pas militaire. (...) Il faut un énorme effort de reconstruction civile, de remise en place des institutions d’Etat. (...) Il faut parler aux Talibans, c’est essentiel, il n'y a pas de solution possible sans cela, car ils font partie des Pachtouns – la plus grande tribu du pays."

(NGV)

(1) Né à la fin des années 1970 et basé à Nangarhar, ce mouvement avait mené aussi de nombreuses actions contre l'armée soviétique, près des frontières pakistanaises. Il était alors financé par les Américains.

(2) "Finally, virtually every military officer, civilian official, and intelligence officer who deals with Afghanistan realizes that the war not only is unwinnable on a purely military basis, it is probably unwinnable without basic changes in the role that the Pakistani government its forces play in the FATA and Baluchi areas of Pakistan. This is not an Afghan war, it is an Afghanistan-Pakistan conflict"

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

2 réflexions sur “L’intervention en Afghanistan, c’est foutu ?…

  • le  retour  aux  fondamentaux:
    “la  guerre  n’est  qu’un  autre  moyen  de  continuer  la  politique,  avec  en  perspective  le  retour  à la politique”
    Clauswitz.
    voir  article  sur http//presidentielles2007projet.hautetfort.com/  Afghanistan  une  idée  de  démocratie

  • Le  gouvernement “démocratiquement”  élu  peut  il  être  reconnu  par  une  société  Afghane  féodale?
    Répondre  à cette  question  de  bon  sens  permettrait  aux  occidentaux de” mieux  appréhender  les  réllités  de  ce  pays?
    Refuser  la  réalité  en  substituer  une  autre  plus  conforme  à notre  “culture” rend  alors  cohérent  une  action  qui  n’a  plus  pour  but  le  seul intérêt  des  différents  peuples  et  non  du  peuple  de  ce  pays  historique.

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