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[Yougoslavie Mémoire d’un désastre] 1990-1999 : L’Europe responsable, incapable ou ignorante

(BRUXELLES2) 1990-1991, L'Europe responsable. C'est le temps des balbutiements « heureux » et des erreurs « tragiques »

Entre 1990 et 1991, l’Europe est, seule, maître à bord de la question yougoslave. Les Russes (le coup d’Etat contre Gorbatchev a lieu en août 1991) et les Américains (première intervention dans le Golfe en 1990) sont occupés ailleurs et ont « donné les clés » de la crise à la CEE. Comme prévu, et annoncé par tous les experts — et les Serbes eux-mêmes —, la première réaction yougoslave à l’indépendance est une réaction… militaire. C’est la courte intervention en Slovénie (1991) mais surtout la première guerre de Croatie (avec la prise sanglante de Vukovar).

En 1991, après un relatif étonnement, l’Europe réagit de façon plutôt bénéfique

Les premières actions semblent enrayées. C’est l’accord de 1991 signé sur l’île de Brion, qui a pour objet de repousser de quelques mois l’indépendance et qui tente de poser les clés d’un dialogue entre les communautés. Ce sont aussi les critères posés pour la reconnaissance (par la commission ad hoc présidée par l’ancien ministre de la Justice français Robert Badinter) et les premiers projets d’intervention militaire, tous avortés aussitôt (au point qu’on peut se demander s’ils étaient vraiment réalistes). Mais, c’est aussi le moment où l’Europe se déchire sur son unité politique, sur la mise en place d’une politique étrangère et de sécurité communes (on est en pleine discussion de ce qui sera le Traité de Maastricht). C'est le premier dérapage intra européen. L’Europe renonce ainsi à l’envoi d’une force militaire (proposée un moment par les Français, puis les Néerlandais), laisse faire l’armée serbe à Vukovar et en Slavonie. La France cède à l’Allemagne sur la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie, en échange de son accord final sur l’Union économique et monétaire. L’Allemagne tient sa promesse de reconnaître les nouvelles républiques avant la Noël 1991. Mais l’unité européenne est secouée et perd sa crédibilité dans la région. L’Europe semble, réellement, passer, à ce moment-là, à deux doigts d’une chance d’enrayer la crise. Quelques semaines phares peuvent être particulièrement détaillées : en septembre 1991 et en
décembre (reconnaissance de l’indépendance).

1992-1999 - L’Europe irresponsable, absente ? 

Entre 1992 et 1999, l’Europe impassible, repliée sur elle-même, renonce à gérer la crise,notamment en Bosnie, et passe le relais aux Nations Unies, à l’Otan, se contentant de participer (souvent massivement en hommes, finances et aide humanitaire) et de commenter politiquement les évènements dans la région.

A partir de 1992, l’Europe développe sa puissance à travers l’aide humanitaire — ce qu’elle faire de mieux —. C’est à ce moment qu’est notamment fixée sa doctrine en la matière, qui fera d’elle un des leaders mondiaux de l’aide humanitaire, et qu’est formalisé l’Office européen d’aide humanitaire (Echo). Mais l’Europe faillit dans le militaire, du moins de manière autonome. Si elle fournit l’essentiel des troupes à l’Onu, son efficacité dépend de l’action internationale. Et à Srebrenica, comme dans toute la Bosnie et en Croatie, ce seront des troupes européennes (Néerlandais, Français…) qui, en première ligne, seront confrontées à l’épuration ethnique. A ce moment là aussi, l’Europe faillit dans le respect de son fondement historique — le « Plus jamais çà » issu des camps de concentration et de l’épuration nazie ayant été un des ressorts communs et philosophiques des fondateurs de l’Europe. Elle faillit également dans le respect de ses principes fondamentaux : l’accueil des victimes. Alors que de nombreuses personnes sont libérées des camps de prisonniers serbes, L’Europe ferme ses portes, plusieurs pays refusant de servir de terre d’accueil à ces réfugiés. « Faute » terrible qui a, aujourd’hui, quasiment disparu de l’histoire officielle européenne.

Cette crise intra européenne sera salutaire. Elle accélérera la création d’une Europe de l’asile (et de l’immigration). Certains éléments trouvent place dans le Traité d’Amsterdam et le Sommet de Tampere qui crée l’espace de justice et de liberté. Le texte sur « protection temporaire » (dit aussi « asile humanitaire ») est directement née de cette période. L’instrument n’a jamais été mis en oeuvre depuis.

En 1995, les accords de Dayton, symbolisent la « pax americana ». Les Etats-Unis, sous la conduite de Bill Clinton, ont décidé d’appuyer une solution, bancale (le gel des conquêtes territoriales et le découpage en plusieurs zones), mais qui permet de « stabiliser » la Bosnie. Avec l’aide de conseillers américains, et quelques livraisons d’armes adéquates, la Croatie a reconquis, dans une offensive éclair, le territoire « occupé » par les Serbes. (cf. rôle clé du gaulliste Jacques Chirac élu Président de la république en France, qui constitue un tournant notable dans la politique française, réputée trop attentiste et favorable aux Serbes).

En 1999, cette « reprise en main » se termine par l’intervention de l’Otan au Kosovo, après l’échec des négociations de Rambouillet, entre Serbes et Kosovars et l’expulsion massive décidée par Milosevic des Albanais du Kosovo. Là encore, les Européens fournissent l’essentiel des hommes, les Américains fournissant le bouclier aérien (cf. rôle clé joué par Tony Blair dans l’engagement terrestre).

Cette quatrième guerre yougoslave (après celle de Slovénie, de Croatie et de Bosnie) se déroule en même temps qu’une prise de conscience de la nécessité d’une politique européenne de défense autonome. En 1998, au sommet de Saint Malo, Britanniques et Français s’accordent sur les priorités à venir.

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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