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Les trois défauts de la méthode ouverte de coordination

(B2) La discussion d'un nouvel agenda social pour 2008-2013 repose la question de la méthode adéquate pour l’Europe sociale. Malgré quelques timides réintroductions de propositions législatives, la politique de la Commission européenne reste aujourd’hui trop concentrée sur la méthode ouverte de coordination (MOC) qui apparait comme la solution à tous les problèmes. Une erreur de principe comme de fond.... Cette méthode a, en effet, été conçue et mise en place comme un complément à une volonté politique d’aboutir à une Europe sociale, d’une part ; à la mise en place et au respect d’un ensemble de dispositions législatives, d’autre part. Or, aucun de ces éléments n'existe plus aujourd’hui. Et la MOC demeure seule, au milieu du gué, aux prises avec des vents contraires.

La méthode ouverte de coordination a, en effet, trois défauts majeurs.
• Premièrement, elle ne crée pas de droits ni d’obligations pour les citoyens et les entreprises comme pour les Etats membres. Or l’originalité, et le succès, du système communautaire repose justement sur la création de droits directement invoquables par les citoyens et les entreprises, avec un double contrôle parlementaire et juridictionnel.
• Deuxièmement, la Moc n’est pas démocratique. Il n’y a sur l’élaboration des principes aucun contrôle parlementaire, ou réduit au minimum, ce qui est un comble à l'heure de la généralisation de la codécision!. Elle n’est pas soumise à un contrôle juridictionnel. Aucun citoyen ou entreprise ne peut venir contester ou demander son application devant un tribunal qu’il soit national ou européen, ni national, ni européen.
• Troisièmement, la MOC ne recèle pas en elle-même de principe d’efficacité. Aucune sanction, même symbolique, ne vient frapper l’Etat récalcitrant ou mauvais élève. Au contraire, même, au fil des années, les rapports successifs se sont édulcorés. Et on a tenu à gommer les Etats « mauvais élèves » pour mettre en avant les « bons élèves »... L'exercice de stimulation collective est ainsi devenu un exercice d'autosatisfaction mutuelle.

Faut-il alors jeter la MOC aux orties ? Non.

Elle reste une méthode utile pour permettre aux administrations, et aux experts d’un domaine de dialoguer entre eux, de cerner les bonnes pratiques, de s’encourager. Mais pas plus! Une méthode administrative intéressante ne peut nullement tenir lieu de politique à elle seule. Il est donc temps de replacer la construction sociale au coeur de la construction européenne : non pas à coups de slogans de communications ou de rafistolage publicitaire, en rebaptisant « bon pour les citoyens » des projets essentiellement destinés à améliorer le marché.

La construction sociale intéresse tous les citoyens : salariés et retraités, étudiants et entreprises. Et il s'agit de prendre cette question au sérieux. L'intérêt pour l'Europe est à ce prix. Il faut donc revenir aux « fondamentaux » européens, non pas par doctrine mais par pragmatisme. La seule méthode qui fonctionne, qui permet de rapprocher peu à peu les Etats membres, qui est fait la preuve de son efficacité, demeure la méthode législative, donnant des droits aux citoyens et aux entreprises, et dont l’application est vérifiée à la fois par la Commission, le Parlement et la Cour de justice. Il n’y a pas d’autre chemin. Le reste est un paravent agréable pour masquer le vide… On n’a pas bâti le marché intérieur avec une MOC !

C'est d’autant plus nécessaire que le tissu de directives européennes a vieilli, reste basé sur des concepts assez anciens – salariés industriels restant longtemps au service d’une entreprise à l’actionnariat relativement stable – alors que les temps ont évolué, que les salariés sont de plus en plus mobiles, flexibles, que la différence entre indépendant et salarié s’est largement estompée, et que de nombreux problèmes se posent que n'ont pas prévu les directives actuelles. Il faut donc mettre à jour les textes existants et réinventer de nouveaux droits. Cela nécessitera sans doute certaines réticences, certaines concessions pour des modèles restés trop longtemps nationaux. Mais ces évolutions sont sûrement préférables à l'impression laissée d'un lent grignotage d'une Europe sociale par le jeu du marché…

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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