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Entretien avec Yves de Kermabon: mon idée maitresse, rétablir la confiance

(B2) Yves de Kermabon est chef de la mission Eulex Kosovo.


Agé de 58 ans, français, diplômé de Saint-Cyr (l’école des officiers supérieurs), issu de l’armée blindée de cavalerie, Yves de Kermabon a participé à de nombreuses missions extérieures : Tchad (1978 et 1979), République Centrafricaine (1981), Cambodge (1992). Il a servi à la Forpronu (commandant adjoint du secteur de Sarajevo, 1995), à l’Ifor (Division Multinationale Sud-Est, 1996), puis à la Kfor au Kosovo (chef de la Brigade Multinationale Nord à Mitrovica, 2002, commandant adjoint, 2003, puis commandant en chef, 2004-2005).

Vous connaissez bien le Kosovo, vous commandiez la Kfor il y a peu encore, comment jaugez-vous la situation actuelle ?
Il est trop tôt pour établir des jugements définitifs. Les Serbes sont clairement sous le coup de la déclaration d’indépendance et de la reconnaissance par les Etats membres. Leur réaction est compréhensible. C’est un coup très dur et on peut comprendre qu’ils aient des réactions un peu vives, spontanées. Cela ne veut pas dire que j’approuve ces réactions de violence.

Ces incidents, vous les placez où sur une échelle de gravité ?
Je dirais que ce sont des réactions d’une amplitude moyenne, auxquels on s'attendait assez. Mais cela aurait pu être pire. Nous avons eu des incidents aux frontières, des manifestations à Mitrovica et des Kosovars d’origine serbe refusent d’obéir aux instances du Kosovo. Mais ils continuent de respecter l’Unmik et Kfor. Ce qui s’est passé à Belgrade, d’une certaine façon, est presque plus grave qu’au Kosovo.

Pas vraiment plus grave que des troubles dans une de nos banlieues européennes, donc ?
On peut le dire comme çà. Mais il faut rester vigilant. Attendons de voir… ce qui va se passer. Il est important de garder notre calme et notre sang-froid.

Il y a cependant des Serbes qui franchissent la frontière par les montagnes, de façon illégale donc, que ferez-vous quand vous aurez la charge des frontières ?
Ce n’est pas acceptable. Mais après l’Unmik, ce sera la police (des frontières) et les douanes du Kosovo qui seront aux frontières, avec d'éventuels renforts de la Kfor. Ce seront, eux, qui seront en première ligne, comme aujourd'hui. Eulex sera là mais davantage en soutien et en assistance.

Dans quel esprit abordez-vous votre mission ?
Mon idée maîtresse est de rétablir la confiance. Il y a une défiance réciproque, due à ce qui s’est passé ces dernières années, dans la population mais aussi vis-à-vis des institutions. Il faut rétablir ce lien.

Comment…?
Il faut faire œuvre de pédagogie, montrer que cette mission est de l’intérêt de tous, des minorités, et des Serbes essentiellement. C’est une garantie pour eux que la loi soit respectée, les minorités protégées, la liberté de mouvement assurée, la propriété respectée, voire que les propriétés qui leur appartenaient leur soient rendues.

Mais vous n’êtes pas encore au Kosovo ?
J’y suis allé plusieurs fois ces dernières semaines. J’y serai, à nouveau, dans une dizaine de jours (vers le 15 mars), pour des rencontres officielles. Mais je ne serai effectivement établi de façon définitive qu’à l’issue de la période de transition (avec l’Unmik).

Une manière de marquer que la mission d'Eulex ne démarre vraiment que le 15 juin ?
Oui. Etre ici me permet d’avoir une position plus équilibrée. Je ferai des allers-retours, entre Bruxelles et le Kosovo, les contacts avec les capitales, et New-York (Onu)... Et sur place, il y a mon adjoint, Roy Reeve, qui mène le déploiement de la mission.

Vous irez à Belgrade ?
Bien sûr, dans la mesure du possible. Une partie de la clé de la situation est à Belgrade. Il faut continuer à maintenir des liens avec eux, les écouter, les entendre. Car notre mission est dans l’intérêt de tous. La corruption, le crime organisé sont très multiethniques dans les Balkans, comme ailleurs. Il faut donc travailler en réseau.

Comment voyez-vous la coopération avec les autorités Kosovares, avec la Kfor ?
Je retrouve des personnes que je connais bien, au gouvernement comme au niveau local, Albanais comme Serbes. Avec la Kfor, je considère qu'il est impensable que chacun travaille en ignorant l’autre. C'était déjà mon opinion quand j'y étais, je n'ai pas changé. Ce serait contreproductif et donnerait une très mauvaise image. Ce serait aussi donner l'ccasion à certains « bad guys » d’exploiter cette mauvaise situation.

Comment avez vous vécu la préparation de la mission, c’était long ?
Pas si long. Vous savez. Solana m’avait demandé de postuler au poste au mois de mars. J’ai été sélectionné en mai l’année dernière. Mais durant trois mois encore, j’avais encore ma double caquette de général français. En fait, compte tenu de l’importance de cette mission, et des délais impartis, avec le travail de génération des forces, depuis octobre, nous n’avons pas eu trop de temps pour vraiment nous préparer.

Hanter les couloirs des diplomates n'est-ce pas frustrant, pour vous, qui êtes un militaire opérationnel ?
J’ai un passé de terrain, effectivement. Mais travailler avec les 27 Etats membres — j’étais au COPS régulièrement — est un challenge captivant. J’avais besoin qu’ils me donnent la possibilité d’utiliser des procédures particulières, vu les délais et le recrutement. Il fallait aussi définir la stratégie d’entrée de mise en place la mission. C'est un travail très opérationnel.

… et très politique aussi ?
Vous savez. Au Kosovo tout est très politique. Mais effectivement la police, la justice, les frontières, c’est le cœur du problème, et de notre mission : établir un Etat de droit. Cependant il ne faut pas oublier l’économie et les écoles. Ce n’est pas ma mission… Mais ce sont les deux autres challenges importants pour le Kosovo, qui conditionneront aussi notre réussite.

(Entretien réalisé en vis à vis, le 28 février 2008 - paru dans Europolitique début mars)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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