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BalkansDéfense UE (Doctrine)

“La spécificité de l’UE: intervenir entre paix et guerre”, Karl Erjavec

(B2) En marge du conseil informel des Ministres de la Défense, à Brdo en Slovénie, le ministre slovène de la Défense, Karl Erjavec (*) qui présidait la réunion s’est prononcé pour la mise en place d’un financement commun plus important en matière de PESD. Il conseille aux Européens de ne pas perdre leur sang-froid face à la situation au Kosovo et en Serbie. Et il voit davantage les derniers incidents comme un catharsis. Enfin, il estime que l’Afrique est le terrain d’action privilégié de l’Europe de la défense.

Après l’indépendance du Kosovo, plusieurs incidents ont eu lieu, en Serbie également. Vous connaissez bien vos voisins, Serbes et Kosovars. Comment jaugez-vous la situation ?

La situation est très délicate. Je comprends les Serbes qui ont plein d’émotion, parce que c’est une question d’histoire de la Serbie. Mais je suis sûr que ce qui est aussi très important pour eux, c’est la qualité de vie. Il est très important de donner un sens à la perspective européenne que nous leur offrons. Il est aussi important – après les derniers évènements (à l’ambassade américaine à Belgrade notamment) qui sont un « mauvais signal pour l’Europe » que les autorités Serbes envoient un bon signal à l’Europe. Je pense qu’ils deviendront raisonnables. Nous avons eu longtemps une situation de statu quo, durant neuf ans, qui ne pouvait plus durer. Et tout le monde s’attendait à ce qui se passe. Mais c’est le pas pour sortir de la situation dans laquelle sont les Balkans depuis de nombreuses années.

A vous écouter, on a le sentiment d’être plutôt en fin de crise. Que cette explosion de violence à Belgrade (avec l’incendie de l’ambassade américaine) est plutôt une catharsis ?

Oui, tout à fait. Pour moi, nous nous situons davantage vers la fin d’une période troublée. On tourne la page de 15 ans de guerre. Ce ne sera pas facile. Mais le temps est un élément très important dans la région.

Et si vous aviez un conseil à vos collègues européens, lequel ?

L’Europe ne doit pas perdre son sang-froid. Ne pas « cogner » trop fort sur les Serbes. Nous devons, au contraire, aider la Serbie, lui ouvrir la porte vers l’Europe. Et cette porte ne doit pas être qu’une parole politique, il faut aussi avoir des programmes économiques. Tous les problèmes, j’en suis sûr, reposent sur le fait qu’il n’y a pas une bonne économie, de futur pour la population. L’Europe n’a pas besoin d’être présente dans la région seulement avec des militaires. Mais elle doit donner une perspective, une meilleure vie. La sécurité pour moi passe, avant tout, par le développement économique et l’ouverture des frontières. La situation pourra se stabiliser. Quand les Balkans seront stables, on n’aura plus une tâche grise sur l’Europe.

L’UE a un problème récurrent de capacités militaires, notamment en matière de transport stratégique, à quoi vous l’attribuez ?

Tout d’abord à un changement de stratégie. Durant toute la guerre froide, nous avions un concept de sécurité basé sur une défense statique. Aujourd’hui, les Etats ne défendent plus leur pays dans
leur territoire national. Nous défendons la paix et la stabilité hors de notre pays. Le concept change, les moyens aussi. Il nous faut davantage de capacités pour envoyer les militaires. Cela ne se
fait pas en un jour.

Ne faut-il pas faire évoluer les règles alors, avoir un financement sinon communautaire au moins davantage commun ?

En tant que petits pays, nous sommes pour. On a de petites armées et pour acheter un avion de transport stratégique, cela pose problème. Si sur quelques projets, on peut les faire en commun et les financer en commun, ce serait bien. Cela vaut aussi pour les missions. Si un pays prend une décision de participer à une mission, il devra tout financer. Tandis celui qui n’y va pas ne finance pas
cette participation. Ce n’est pas juste. On ne peut pas continuer comme çà. Il y a des coûts importants. Les grands pays ne veulent pas d’un financement commun. Mais il faudra bien trouver un financement européen à long terme. Car le futur va demander de plus en plus de missions à l’UE. Et la stabilité n’augmente pas dans le monde.

Pour vous l’Afrique est donc le terrain d’action de la politique européenne de sécurité ?

Clairement c’est la priorité n°1. Regardez le Kenya, c’est un pays stable. Passe la nuit. Et aujourd’hui il n’est plus stable. De nouvelles crises peuvent s’installer qui menacent très directement notre stabilité. L’Afrique est très proche de plusieurs de nos pays. Il y a des courants de migration. Regardez la situation en Espagne, au sud de l’Italie. Si on ne s’en occupe pas des problèmes là où ils sont, ils viendront à nous. Ce n’est pas de la théorie, c’est la réalité. La substance de la stratégie européenne de sécurité est là. Il n’y a que l’Europe qui soit à même de faire des missions en Afrique. L’Amérique est plus tranquille, il y a un océan qui les sépare. Mais nous il n’y a qu’une mer. C’est pour çà que je trouve aussi très important qu’il y ait une coopération méditerranéenne.

Comment voyez-vous justement la coopération Otan – UE ?

L’Otan est une organisation spécialisée militaire. Elle a une capacité d’intervention dans une situation de forte violence, de vive intensité. L'UE peut intervenir davantage dans des situations compliquées, entre paix et guerre, où il faut du développement, de la sécurité. Pour moi, l'UE a plusieurs tiroirs dont celui de la politique de sécurité. L’Otan n’en a qu’un.

Pour vous c’est là l’apport de l’Europe ?

Oui c’est la plus-value européenne. A coté de l’Otan qui est typiquement militaire, nous avons une vision plus large. Partout où je suis allé, je l’ai vu s’il n’y a pas de bonnes conditions,
d’espoir de meilleure vie, nous avons là le terreau pour les nationalistes, les tensions, les extrémismes et donc des problèmes de sécurité.

(Nicolas Gros-Verheyde)

(*) Né en 1960, en Belgique, Karl Viktor Erjavec retourne en Slovénie pour terminer ses études, à Kranj (tout près du centre de conférences de la présidence slovène, de Brdo). Diplômé de la faculté de droit de Ljubljana, il est ensuite Employé dans le secteur public, jusqu’à 1990. Il devient ensuite membre du Conseil municipal de Kranj. De 1995 à 2000, il est responsable au service du Médiateur slovène des questions des droits de l’homme fondamentaux. Il a écrit de nombreux articles sur ce sujet. Puis il devient Secrétaire d’Etat  à l’administration judiciaire au Ministère de la Justice.

NB: un entretien publié dans Europolitique le 27 février

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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