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BalkansReportage

Kosovo 1 : Nord Kosovo. Un œil vers Belgrade, l’autre vers Pristina


(B2)

« Ne pas se fier au calme au calme apparent, c’est toute la difficulté de cette mission » raconte le capitaine Ucheida, de la brigade franco-allemande, qui termine sa mission de 4 mois. Quand il transmet la consigne au régiment d’infanterie de marine (français) qui les relève, c’est cette consigne qu’il veut faire passer. « Cela peut être calme. Cela se tend le matin et çà prend feu l’après-midi ».

Logés à « La Concession », le bâtiment et qui continue de servir centre culturel… et de boite de nuit le vendredi soir!, les militaires ont là un poste d’observation de choix. Ils surplombent le principal pont de Mitrovica (renommé Pont « Austerlitz » par la KFIR) gardé nuit et jour par les hommes du KPS (la police kosovare) et de l’UNMIK Police (Onu).

Mitrovica ville de séparation ?

Un tel déploiement de force peut paraître superflu, tant la ville respire la vie. Mais Mitrovica c’est une ville symbole, une ville frontière. Ville symbole. C’est là, qu’éclatent les incidents qui firent au total 19 morts et plusieurs centaines de blessés. La rivière Ibar sépare le « Kosovo albanais », au sud, du « Kosovo serbe », au nord. Cette frontière n’est pas vraiment parfaite. En effet, une nette majorité (100.000 environ) des « Kosovars d’origine serbe » (K.O.S. dans le langage « politiquement correct » de l’Otan) vivent dans d’autres régions, à Pristina ou au Sud du pays, en zone américaine. Ce nord Kosovo, aux terres arides d’extraction de minerai et de montagne, aux routes impraticables l'hiver, n’abrite que 60.000 Serbes. Seules quelques dizaines de Kosovars d’origine albanaise (K.O.A.) sont restés, à Mitrovica, dans les zones d’habitation mixtes — les tours ou le quartier de la Petite Bosnie — et dans quelques enclaves villageoises albanaises. Ce Nord vit tourné vers Belgrade. Les affiches électorales montrent les différents partis politiques de la campagne présidentielle. Et les bureaux de vote ont été ouverts pour l’élection présidentielle en Serbie. En revanche, presque aucun votant n’ont participé aux récentes élections législatives au Kosovo : 43 dans le secteur de Nothing Hill selon le capitaine Petit !

Le Nord regarde la Serbie surtout, les Albanais Pristina

Le KPS – la police kosovare – exerce partout. Malgré une unité en apparence, la police est « serbe » au nord, et très majoritairement albanaise dans le reste du pays. L’énergie provient de Serbie au nord, du Kosovo au sud. Les policiers serbes reçoivent d’ailleurs aussi un salaire de Belgrade. Les retraités serbes une pension… Les voitures affichent les plaques serbes «  KM » pour « Kosovo i Metohija » (nom serbe du Kosovo), les Kosovars ont un signe « KS » entre plusieurs chiffres. Même les réseaux de téléphone mobile sont séparés : serbe au nord (avec le 38 comme indicatif), kosovar ailleurs (avec le 377, l’indicatif de… Monaco, les Telecom de la Principauté gérant, ici, le réseau). Si la séparation est bien visible, les imbrications sont plus discrètes. La Serbie fournit de l’électricité aussi au Kosovo. Quelques véhicules circulent sans plaque : habitants d’une enclave qui reviennent voir leur famille, Albanais ou Serbes en transit dans l’autre « zone », ou véhicules volées. La police a décidé de fermer les yeux. Tel village « albanais », situé dans les hauteurs (les sommets culminent autour de 2000 mètres), l’hiver, ne peut circuler qu’en passant par la « zone serbe », donc devient une véritable enclave.

« High visibility, low profile ». C’est la doctrine de l’Otan

Autrement dit se montrer un maximum, mais garder un profil non agressif. Les soldats circulent sans gilet pare-balle mais ceux-ci restent dans les véhicules). Le fusil mitrailleur est-il avec un chargeur, bien visible. Mais il n’est pas enclenché (la balle n’est normalement pas engagée dans le canon). Et il se porte dans le dos, en temps ordinaire. Pas question de déambuler dans les villages l’arme à la hanche. Durant nos trois jours de patrouille, aucun soldat européen n’aura dérogé à cette règle. Les Américains restent une exception. « Ils sont traumatisés par ce qui se passe en Irak et croient que c’est partout l’Irak » confie un militaire.

En patrouille dans le Nord

Le KTM (Kosovo Tactical Reserve Manoeuvre Battalion) a été placé en alerte dans la zone nord. Le bataillon de réserve de la Kfor, composé du 2ème Bataillon d`infanterie (portugais) dirigé par le Colonel Magalhaes, patrouille régulièrement à MItrovica. Objectif : aujourd’hui : le « Barbecue » (monument à la gloire des héros miniers de l’ex-Yougoslavie qui domine la ville) en passant par « Montmartre » (le quartier résidentiel de Mitrovica) et retour par « Passy ». A chaque entrée de zone, arrêt, la robuste radio militaire des Portugais crépite. La patrouille se signale à son PC de compagnie. Seul hic : la radio portugaise n’est pas reliée au PC français de la Concession à quelques mètres de là. Si problème il y a, ce sera alors aux quartiers généraux de communiquer entre eux et d’assurer le relais… Les Portugais relèvent méthodiquement toute affiche politique ou annonçant un rassemblement. Photographie numérique, relevé typographique et résumé sont consignés sur un carnet et feront l’objet d’un rapport qui montera au Quartier général. « Nous notons aussi les véhicules étrangers – cela remonte à Interpol ». ainsi que les prix. « Toute augmentation soudaine peut être un signe de tension » explique le sous-lieutenant Laroche, chargé de l’information à la task-force Nord.

« Nothing Hill » le dernier camp avancé de la Kfor

Plus rudimentaire que les autres. Effectivement nous sommes un peu au milieu de nul part. Une patrouille mixte franco-américaine, prend le relais, avec qui nous allons faire les derniers kilomètres qui séparent de la Serbie. Un détachement de la Garde nationale de l’Iowa, d’ordinaire stationné au sud du Kosovo, a pris son tour de garde au nord. Par rotation, « afin de mieux connaître le terrain », chaque task-force de l’Otan dépêche dans la zone une compagnie. « Que ce soient les Américains est un hasard » précisent les militaires. Mais l’intérêt stratégique n’échappe à personne. Montrer aux Serbes sur leur frontière — pardon la « limite administrative » — que les Américains, neuf ans après les frappes de l’Otan sont toujours là. Les Serbes savent pertinemment que frapper un Américain n’a pas le même poids que frapper un Européen. Et effectivement, les grands gaillards de la Garde nationale de l’Iowa, au pas lent et décontracté, malgré tout, avec l’écusson aux 50 étoiles sur l’épaule, ne passent pas vraiment inaperçus dans ce village de Lezak, plutôt vide. La population vaque à ses obligations. Un œil apparemment distrait, l’autre en éveil. La politique n’est pas loin. Le serbe rencontré, qui travaille au « relais » électrique, fait le signe des trois doigts, en guise d’au-revoir, le signe de ralliement des radicaux serbes. Message bien reçu. Un autre, chargé de « distribuer le courrier », entame une conversation qui vire à la polémique. Les mots plus rudes (« enculés d’Albanais ») succèdent aux mots convenus, que l’interprète se garde bien de traduire, lissant la conversation. La patrouille décroche pour éviter toute provocation supplémentaire. L’homme a, apparemment, d’autres fonctions que de distribuer le courrier…

Gate 1

C’est comme son nom l’indique, la porte d’entrée principale entre Belgrade et la Serbie, au nord, et Pristina et le Kosovo au sud. Ce sera sûrement un des enjeux principaux de sécurité des prochaines semaines. Qui tiendra ce poste assurera l’intégrité territoriale de la province. Certes, on ne dit pas « frontière » officiellement on parle de « limite administrative nord ». Mais la réalité est similaire. Un poste de douanes, des policiers de l’Unmik d’un coté, du KPS de l’autre. Et deux visions du contrôle. A l’entrée sans le territoire, c’est le KPS qui officie. L’accueil est plutôt débonnaire, un rapide coup d’œil, le plus souvent doublé d’une poignée de main quand c’est un voisin ou une connaissance. A la sortie, le contrôle est plus sévère. Le douanier de l’Unmik – un Ghanéen lors de notre passage - est plus rigoureux. Apercevant les soldats de la Kfor, un passager fait le signe des trois doigts, tout hilare. Inutile de préciser qu’aucune plaque kosovare ne hasarde à Gate 1. Fin du périple…

La Kfor en quelques mots

Forte de 16 000 hommes aujourd’hui, la force de l’Otan (KFOR) a été déployée à partir du 12 juin 1999, après un accord militaro-technique avec les Serbes sur leur retrait militaire (le 9 juin) et la résolution de l’Onu (le 10 juin). Depuis 2006, elle est organisée en cinq Task Forces multinationales (MNTF), quadrillant tout le territoire, commandée par une nation-cadre : Etats-Unis (est), Irlande (et Royaume-Uni, au centre), Turquie (alternativement avec l’Allemagne, sud), Italie (Ouest), France (nord). Elle comprend deux forces – non sectorisées – le KTM (bataillon de réserve) et la MSU (force de police) qui ont vocation à intervenir dans tout le Kosovo. Depuis le 1er septembre 2007, la KFOR est commandée par le général de corps d'armée français Xavier Bout de Marnhac. Le quartier général est basé à Pristina à « Film city ».

(Nicolas Gros-Verheyde, à Mitrovica, Pristina, et au Nord Kosovo)

Cité photo : NGV - janvier 2008

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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