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L’arrêt Schneider, au grand dam des argentiers européens

(Archives) L’arrêt qu’a prononcé le Tribunal européen de première instance ce 11 juillet est une première. Une première par son retentissement. Une première dans ses conséquences

Schneider vient de gagner une bataille judiciaire. A la surprise générale, le Tribunal européen de Première instance a, en effet, reconnu, hier à Luxembourg, la responsabilité de la Commission européenne dans l’exercice de son pouvoir d’autorité de la concurrence, pour la fusion ratée Schneider-Legrand. Un jugement sans précédent!

Une violation grave et manifeste des droits de la défense

Schneider et Legrand avaient vu leur projet de fusion, qui devait créer le numéro un mondial de l'appareillage électrique, bloqué par la Commission européenne. Si ce veto avait été annulé peu après par la justice européenne, Schneider avait payé le prix lourd. Entretemps, il avait dû le revendre aux fonds d'investissement Wendel et KKR pour 3,6 milliards d'euros une entreprise acquise pour 5,4 milliards d'euros. Perte sèche ! Piqué au vif, Henri Lachman, le PDG avait décidé d’attaquer l’exécutif européen en lui demandant … 1,6 milliard d’euros de dommages et intérêts.

Le Tribunal n’a pas mâché ses mots. Il estime que la Commission a commis ce qu’on pourrait appeler une faute lourde. Selon les juges, « la méconnaissance grave et manifeste par la Commission des droits de la défense de Schneider constitue une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire ».

Une violation que ne peut « trouver ni justification ni explication dans les contraintes particulières pesant sur les services de la Commission ». Il reconnaît à Schneider deux motifs d’indemnisation : la reprise du contrôle de l’opération de concentration après le premier arrêt du Tribunal et la réduction du prix de cession qu’a dû consentir Schneider à Wendel/KKR pour obtenir un report de l’effet de cette cession.

La surprise est donc de taille au Berlaymont, le siège de la Commission européenne qui devrait rapidement tenter une manœuvre de la dernière chance : saisir la Cour de justice pour essayer d’obtenir cassation de ce jugement. La bataille juridique ne semble donc pas terminée.

Une première à plusieurs titres

Cet arrêt est une première au sens juridique, tout d'abord. D'ordinaire, les juges sont en effet (très) réticents à admettre la responsabilité des institutions européennes dans leur tâche régalienne.

C’est bien simple. En 50 ans de jurisprudence, les experts de la Cour ne citent qu’un seul cas où des entreprises lésées ont obtenu des dommages et intérêts des tribunaux européens car elle étaient victimes d’une erreur administrative. Il s’agissait d’une affaire de quotas laitiers (arrêt Mulder). Et dans ce rôle d’autorité suprême de la Concurrence, il n’y a aucun précédent.

Cet arrêt est aussi une première en termes économiques. Les sommes en jeu sont en effet considérables. Entre l'estimation de Schneider (plus 1,6 milliard d’euros) et l'évaluation de la Commission européenne (quelques millions d'euros), il y a un gouffre. Un expert indépendant devrait rapidement se mettre au travail pour évaluer le montant exact de la douloureuse. L'entreprise n’obtiendra pas le montant demandé mais sans nul doute plusieurs centaines millions d’euros.

Un montant jamais envisagé en matière de dommages-intérêts et qui devrait poser plusieurs problèmes aux institutions européennes. A commencer par savoir où trouver cette somme. Quand on sait que les chefs de gouvernement et le Parlement ont mis de longs mois à se mettre d’accord sur quelques milliards de budget supplémentaire (au titre du prochain cadre financier), on mesure la difficulté du problème.

Ceux qui se frottent les mains, ce sont les avocats d’affaire. Car cette décision pourrait faire des émules. Plusieurs autres entreprises — My Travel Group, Ryanair, Microsoft… — pourraient être tentées de suivre les traces de Schneider. Au grand dam des argentiers européens ...

(Nicolas Gros-Verheyde)

Document : l'arrêt T-351/03 du Tribunal du 11 juillet 2007

Article complété sur la base de deux articles publiés dans Ouest-France & France-Culture, juillet 2007

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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