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Réforme de l’Europe : le Ministre D’Alema dresse les lignes rouges italiennes mais délaisse l’Europe socale

(B2) L’événement était attendu, annoncé par ses promoteurs - la Gauche réformiste européenne - comme un tournant dans le débat européen, un acte "refondateur". Force est de reconnaître que, pour brillante et charpentée, l’intervention du ministre des Affaires étrangères italien, devant un auditoire de l'Université libre de Bruxelles, tout acquis à sa cause, lundi 12 au soir, est resté en-deçà de ces espérances. L’analyse est perspicace. « Une mondialisation plus humaine a besoin de l’Europe, c’est le véritable esprit de la mission européenne » explique Massimo D’Alema. Et « nous sommes à un tournant décisif du processus d’intégration, soit nous arrivons à avoir un accord d’ici 2009. Soit la pause de réflexion va se transformer en crise paralysante ». Mais si le Démocrate de Gauche affiche le slogan de « l’Europe globale », de « l’Europe unie », il ne faut pas chercher vraiment dans son propos d’idées nouvelles, avant-gardistes. Son intervention marque plutôt comme le retour, après des années d'abstinence - ce qui est déjà suffisant -, de l'Italie dans le cercle vertueux européen.

Massimo d’Alema a, dès l'entrée, revendiqué la poursuite d’une réforme institutionnelle « non sur la base du Traité de Nice mais sur la base du Traité constitutionnel ». Il a ensuite défini les lignes rouges de son pays qu’il importe de sauvegarder dans une nouvelle négociation : « création d’un Ministère des affaires étrangères (intégré) à la Commission européenne, présidence stable du Conseil européen, extension de la majorité qualifiée sur base du principe de double majorité, possibilité de coopérations renforcées et d’autres formes de différenciation, accord (de réforme) sur la Commission européenne, répartition des compétences et des sources de législation, force contraignante de la Charte des droits fondamentaux, attribution de la personnalité juridique à l’Union européenne ».

« L’accord institutionnel ne suffira pas à relancer l’Europe », estime Massimo d’Alema. Il faut que « les citoyens considèrent l’agenda européen comme un agenda interne ». Pour créer « un nouveau contrat avec les citoyens », il serait judicieux de « générer des familles politiques européennes avec des listes unifiées au Parlement de Strasbourg ». Il préconise donc aux prochaines élections européennes « que les partis nationaux présentent des programmes et des candidats communs, que chaque parti désigne un candidat pour la Commission européenne ». Il y a certes « un risque de grippage du consensus au PE et la perte du monopole de l’initiative », reconnaît-il. Mais c’est le prix à payer.

Cette confiance renouée avec les citoyens signifie aussi, estime d'Alema, d'avoir une définition claire des frontières européennes. L'Europe doit d'élargir aux Balkans — une "nécessité" — et, éventuellement, à la Turquie — si elle évolue complètement, un « défi géopolitique et identitaire ». Mais après, "l'élargissement doit s'interrompre au moins avant un avenir visible". Il faut clarifier les compétences entre l'Europe et les Etats membres.

« Dans quels autres secteurs partager la souveraineté ? » se pose-t-il donc la question. Indubitablement, « dans tous les secteurs extérieurs, de l’énergie au climat à la politique de sécurité, ce qui suppose la fin des blocages des pouvoirs des Etats membres et une certaine souplesse institutionnelle ». Sur la politique extérieure, l'Europe doit être enfin "crédible" et présente. "Il n'y a pas d'autre alternative à une politique unifiée à l'extérieur sinon l'insignifiance". Cela passe notamment par l'unification des représentations extérieures
- au FMI tout d'abord, au Conseil de sécurité de l'ONU ensuite -, des prises de positions vraiment communes car travaillées ensemble - comme l'a été la réponse européenne à la crise libanaise de cet été, et la volonté "d'assumer notre part de responsabilité" au niveau mondial. Sur les flexibilités, outre le développement des coopérations renforcées - "dans un cadre fort, commun et ouvert", le Ministre parie aussi sur l'existence d'un "noyau moteur de pays qui fasse partie de toutes les politiques d'intégration" (zone Euro, défense...).

Ce nouveau partage des souverainetés passe donc par une redistribution des cartes. « Il existe des secteurs où l’Europe a trop fait, trop réglementé. Il faut restituer aux Etats membres et aux collectivités régionales, cette capacité d’autoréglementation ». Cette redistribution n'a pas de tabou notamment en matière financière. Cela signifie "moins d'argent pour la politique agricole, plus d'argent pour la recherche et la croissance".

C'est sur l'Europe sociale et économique, que l'argumentation du leader des Démocrates de Gauche est paradoxalement le plus faible. Après avoir critiqué l'agenda de Lisbonne, "resté lettre morte à cause de la méthode délétère et non contraignante", rappelé la nécessité du marché intérieur, et fait le nécessaire détour par la revendication d'une "meilleure gouvernance économique", il se prononce non pas pour un modèle social mais pour un "espace social européen". Dénomination différente mais qui reste, selon le Ministre italien des Affaires étrangères, limitée à quelques aspects: droit à l'éducation, au revenu minimum, transfert des droits acquis lors des déplacements dans l'Union. Pas question de créer d'Europe sociale. La politique sociale doit relever davantage des Etats nationaux et des collectivités régionales. "La souveraineté partagée ne doit pas déresponsabiliser les Etats".

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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