La fraude bulgare sous surveillance de Bruxelles
(Archives B2) La Commission européenne a tapé, mercredi, du poing sur la table, concernant la Bulgarie (1). Il était temps. Bruxelles a décidé de suspendre le versement à Sofia des financements européens dits de pré-adhésion destinés à l’agriculture et à l’aménagement du territoire – soit environ 800 millions d’euros. Elle a aussi retiré l’accréditation de deux agences ministérielles chargées de distribuer et contrôler ces fonds. Mais elle n’a pas touché aux plusieurs milliards d’euros distribués au titre des fonds structurels, au plus grand bonheur de Sofia.
De graves faiblesses
« Les graves faiblesses observées au niveau des capacités administratives et judiciaires locales, régionales et centrales empêchent la Bulgarie de tirer pleinement profit des fonds européens » et « la corruption à haut niveau et la criminalité organisée exacerbent une fois de plus ces problèmes de faiblesse généralisée », explique la Commission.
Trop d'affaires impunies
L’adhésion de la Bulgarie avait été acquise de justesse en 2007, sous une condition fondamentale : réformer son système judiciaire et lutter efficacement contre la corruption. Aujourd’hui ces problèmes ne sont pas toujours réglés. « Trop peu de résultats démontrant que le système fonctionne, trop d'affaires restent impunies », souligne Johannes Laitenberger, le porte-parole de la Commission.
Une corruption jusqu'au plus haut niveau de l'Etat
Explication, moins diplomatique, d’un proche du cercle de décision à la Commission, au fait du dossier. « En Bulgarie, nous n’avons pas affaire au circuit classique de la corruption, où une personne privée tente d’avoir quelque avantages d’un responsable officiel. Ici, la corruption est au coeur de l'Etat. Celui qui poursuit la corruption est souvent aussi le corrupteur. Nous assistons à une gangrène complète de l'Etat, du plus bas au plus haut niveau ».
Des exemples ... nombreux
L’ancien ministre de la Défense, Vesselin Bliznakov, membre de la commission de lutte contre la corruption (sic), pourrait être impliqué dans des ventes de terrains militaires à des prix sous-évalués. L’ancien ministre de l’Intérieur pourrait voir sa responsabilité engagée. Cinq hauts fonctionnaires de son ministère sont sous le coup d’une procédure judiciaire pour avoir truqué les marchés publics à leur profit ! Plusieurs leaders politiques n’ont pas renoncé à détenir des intérêts, directs ou indirects, dans des sociétés bénéficiant de fonds européens. C’est le cas du leader de l’Union des Forces Démocratiques (droite), Plamen Youroukov, dont le beau-frère détient une société bénéficiaire de fonds européens. C’est le cas aussi au parti socialiste bulgare (PSB), financé en bonne partie par les sociétés ayant remporté des appels d’offres…
Le pétard mouillé de la clause de sauvegarde
Bruxelles pourrait mettre en oeuvre la clause de sauvegarde. Mais cela ressemble davantage à un pétard mouillé. En suspendant le pays du système judiciaire européen, explique un expert, « nous allons sanctionner les quelques juges qui travaillent ». Le seul moyen efficace serait en fait de geler tous les fonds européens dont bénéficie le pays.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Article complété de la version originale parue dans Ouest-France, septembre 2008
(1) Le précédent rapport de la Commission était plus 'doux'. Certains journalistes bulgares ont une explication de cette relative douceur d'un rapport rédigé par l’ancien commissaire à la Justice, Franco Frattini – aujourd’hui ministre des Affaires étrangères de Silvio Berlusconi. Le ministre bulgare de l’Intérieur de l’époque, Roumen Petkov avait en effet chaleureusement accueilli, en 2007, le commissaire italien dans un chalet de montagne, de la station de ski de Borovetz, autour d’un dîner « en très charmante compagnie ». Un photographe avait immortalisé les scènes. Et les photographies soigneusement conservées en lieu sûr. « Que feriez-vous sans Franco, le fraternel ? » avait d’ailleurs ironisé un diplomate européen.