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Politique sociale

Il est temps de réveiller l’Europe sociale, en manque de panache

(B2) OPINION - L’idéal social ne serait pas européen et l’Europe ne serait pas sociale ? Cette idée couramment répandue ne trouve pas sa source dans les textes communautaires, contrairement à ce que certains se plaisent à répéter. Certes les textes européens ne sont pas parfaits. Mais l’idée de progrès social était présente dès les premiers pas de l’Europe. Le traité sur le charbon et l’acier, signé à Paris en 1952, prévoyait ainsi divers instruments pour encourager la formation professionnelle, et l’amélioration du logement. Des objectifs que d’aucuns jugeraient utopiques aujourd’hui. Le traité de Rome, complété ensuite par l’Acte unique, inscrivent la justice sociale comme un des objectifs fondamentaux de l’Europe. Depuis, la coordination des régimes de sécurité sociale, certaines règles du travail (temps de travail, licenciements ) ont été harmonisées de façon basique… Ou, du moins, peuvent l’être...

L'Europe sociale n'est-elle pas faible simplement parce que les principaux acteurs n'y recourent pas ?

La première raison de cette faiblesse est humaine et viscérale

Généralement, les forces sociales - syndicats, secteur non lucratif - ont été en France, sinon hostiles à l’Europe, du moins fortement réticentes ou tout simplement ignorantes. S’appuyant sur un socle social national, censé être plus protecteur, elles ont toujours redouté que des normes adoptées au niveau communautaire ne conduisent les employeurs ou les gouvernements à battre en brèche le droit existant. Contraste saisissant avec d’autres pays. Les Allemands, CDU et SPD réunis, ont ainsi bataillé durement au Parlement européen pour préserver le système de cogestion, allant même jusqu’à bloquer plusieurs textes communautaires, notamment celui sur les OPA. Considérant la Commission européenne comme, a priori libérale, peu d’entre eux ont jugé utiles d’y recourir. Même si des questions fondamentales comme la restructuration industrielle ou les subventions publiques sont en jeu, combien de syndicats ont demandé à être entendus par Bruxelles dans les affaires de concurrence, d’aides d’Etat ou de cartels… Peu ! Le corps social n’a pas compris — contrairement aux ONGs spécialisées dans l’environnement ou la protection animale par exemple — l’intérêt de porter leurs « inquiétudes » à Bruxelles.

La seconde raison est mécanique

Tandis que le corps social s’est mis aux abonnés absents, les adeptes d’une Europe libérale font des propositions, discutent ou amendent celles sur la table, bref participent aux débats. Or, l’Europe est par nature sensible à ceux qui participent. Enfin, l’intérêt public pour la « chose » communautaire semble reculer. L’Europe a sans doute déçu avec des ambitions non suivies d’effet — l’ouverture des frontières n’a pas entraîné pour les citoyens travailleurs des possibilités supplémentaires de travail — ou des projets qui peuvent sembler loin des préoccupations des citoyens ou en tout cas insuffisamment expliquées et justifiées aux yeux de l’opinion publique.

L’Europe manque peut-être tout simplement de panache
Si l’Europe sociale ne fonctionne pas, ce n’est pas parce tant parce qu’il y a une volonté de libéralisation, c’est parce que le pilier social de l’Europe est faible, malade et fragilisé par l’absence générale de volonté politique dans ce domaine.

L’Europe sociale a déjà un socle solide qui ne demande qu’à prospérer….

Le socle existe

Le principe général d’égalité des chances entre les hommes et les femmes, les règles en matière d’hygiène et de sécurité au travail (l’amiante…), les principes de détachement des travailleurs ou de transfert des entreprises ont été bâtis au niveau européen. Tellement intégrés peut-être dans notre quotidien que nous n’en apercevons plus de leur origine. Le Fonds social européen a permis de financer nombre de programmes français : les emplois jeunes en leur temps, la réadaptation des postes handicapés ou des plans sociaux.

Le moment est venu

Au lieu de récriminer contre la Constitution (européenne) qui, certes, ne permet pas tout mais n’empêche rien non plus, pourquoi ne pas bâtir un projet social pour l’Europe ? L'effet conjugué de l'affaiblissement des normes sociales nationales et du blocage politique d'une situation au niveau national, a pour conséquence une volonté de rattrapage se fait sentir au niveau européen. Cette volonté est d'autant plus affirmée que l’Union européenne ressent la nécessité de compléter le marché intérieur et de rendre l'Europe plus proche des citoyens et qu'aucun obstacle juridique, du moins au plan des compétences, n'existe plus.

Les projets ne manquent pas

Actuellement on assiste à une sorte de panne d’idées sous prétexte que le traité ne le permet pas. Or, nombre de projets peuvent être réalisés sans modification supplémentaire des traités. Il suffit d’une volonté politique. Commençons par exemple par la libre circulation des personnes. Cette possibilité reste encore, pour des raisons économiques, sociales ou sociologiques, marginale par rapport à la circulation des biens ou des capitaux.

• Pourquoi ne pas faciliter la circulation de chacun pour chercher un travail, une formation, un autre lieu de vie… ? Certains principes ont été posés, quelques règles existent Mais, au sein des administrations nationales la volonté de les appliquer fait défaut. Les obstacles bureaucratiques sont nombreux et ne sont que rarement sanctionnés par Bruxelles.

• Qu’y aurait-il d’irréaliste à bâtir un système européen d’assurance-chômage ou, au moins, à le coordonner plus étroitement ? Ce qui permettrait à la fois aux chômeurs de conserver leurs droits quand ils vont d’un pays à l’autre et bâtir réellement une Europe de l’emploi.

• Qu’y aurait-il d’irréaliste à compléter le socle de droit social européen, minimal et embryonnaire, pour en faire une sorte de base universelle et transversale qui pourrait s’appliquer, quel que soit le pays et le statut de la personne, salarié ?

• Serait-ce également irréaliste d’inventer un modèle de contrat de travail européen, mêlant formation, salariat dans le privé et passage dans la fonction publique. Ou de doper la formation professionnelle au niveau européen ?

Serait-ce totalement irréaliste de mettre en place un fonds pour les générations futures, au niveau européen, adossé à la Banque centrale européenne et abondée par un prélèvement minime sur les ressources européennes. Par exemple, au lieu de reverser chaque année les excédents budgétaires aux Etats, pourquoi ne pas les reverser dans ce fonds ? Ou de prévoir pour les nouveaux systèmes sociaux, l’assurance dépendance par exemple, un socle européen.

• Serait-ce si difficile d’inclure dans les règlements de concurrence, l’obligation d’entendre les représentants du personnel — actuellement considérés comme des « tiers » ! — en cas de restructuration importante (fusion ou plan de sauvetage/restructuration) ?

• Un grand programme de formation linguistique pour tous les salariés, soutenu par l’Europe, sera également nécessaire pour faciliter la mobilité et l’adaptation de tous à l’Europe de demain ? etc..

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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