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L’Europe en retard sur le crime

(archives B2 *) D’ici décembre un casier judiciaire européen sera proposé, affirme la Commission européenne. Cette idée de créer un casier judiciaire européen ne suffira pas. Il faut doter l’Europe d’un véritable code de procédure pénal commun.

Un casier blanc comme neige

L’affaire Michel Fourniret est révélatrice du manque d’Europe. Ce citoyen français, plusieurs fois condamné en France apparemment, a vécu en Belgique, blanc comme neige. Son casier judiciaire, consulté à plusieurs reprises par les autorités belges, mentionne « néant ». Il a pu ainsi obtenir en 2003 un certificat de bonnes vies et mœurs et travailler dans une école comme surveillant de cantine ! Comment un criminel endurci peut-il retrouver une virginité de l’autre coté de la frontière ?

Un espace pénal européen balbutiant

Un espace judiciaire morcelé

Aberrant ? Non, logique répondent les spécialistes du dossier. A l’heure du marché unique et de la libre circulation des personnes, il y a effectivement une tare. L’espace judiciaire européen reste morcelé entre 25 systèmes différents, voire divergents. Les Etats restent réticents à partager leurs pouvoirs. Ce n’est que depuis le traité d’Amsterdam, en 1997, que l’Union européenne a acquis une compétence dans ces matières, proprement régaliennes. Ce n’est qu’à Tampere, en 1999, que les chefs d’Etat et de gouvernement ont lancé un premier programme législatif. L’objectif affiché était clair : « Les auteurs d'infractions ne doivent pouvoir, par aucun moyen, mettre à profit les différences entre les systèmes judiciaires des Etats membres ».

Des discours aux actes, il y a un gouffre !

L’organisme censé assurer les échanges d’informations, Europol, sans moyens et obnubilé par son fonctionnement interne, s’est encrouté dans un ronron administratif. La possibilité d’avoir des équipes communes d’enquête, notamment pour « lutter contre la traite des êtres humains », est restée inusitée. Ce n’est en fait que sous les coups de boutoir des attentats de New York en 2001, et surtout de Madrid, en mars dernier (2004), que les responsables politiques ont paru prendre conscience du danger.

Un acquis : le mandat d’arrêt européen

L’espace pénal européen en ainsi est encore aux balbutiements. Seules réalités concrètes : le mandat d’arrêt européen qui vient d’entrer en vigueur, et le mandat d’obtention des preuves qui est en discussion (voir ci-après). Sinon, impossible ou quasiment de savoir, passées les frontières, si un Européen est blanc comme neige ou a commis des crimes dans son pays d’origine ou ailleurs. Il n’existe pas de casier judiciaire européen.

Un livre blanc pour la fin de l'année

« C’est vrai » reconnaît Pietro Pietrucci, porte-parole de la Commission. L'idée du casier judiciaire était déjà « évoquée à la Commission européenne » confirme Pietro Petrucci, porte-parole à la Commission Européenne. « Il a fallu le 11 mars (et les attentats à Madrid) pour que les gouvernements prennent conscience de ce manque et l’incluent dans leurs priorités. » Chose faite le 25 mars. « La Commission prépare donc un livre blanc en novembre ou décembre prochain. Il sera accompagné de deux propositions législatives prévoyant l’échange d’informations et la manière dont on prend en compte ses informations ».

Les réticences des Etats...

Reste à fixer son contenu. « Nous estimons que le champ d’application doit être le même que le mandat d’arrêt européen, afin qu’il y ait une continuité pénale ». Mais certains Etats, jaloux de leur prérogative séculaire et obsédés par la lutte contre le terrorisme, n’ont pas tous cette vision et semblent souhaiter un champ d’application aussi limité que possible. Passée l’émotion des attentats, les réticences ont alors repris le dessus. Si le mandat d’arrêt européen est aujourd’hui effectif, son complément, « notre proposition d’un mandat d’obtention des preuves a été accueillie de façon mitigée par les ministres » regrette Pietro Petrucci, porte-parole de la Commission. Et le projet de définir des droits communs aux prévenus a été très critiqué, notamment par les Britanniques.

La Belgique en avance d’une guerre

Du coté belge, on est en tout cas résolu à ne pas rester les bras croisés. La ministre de la Justice, Laurette Onkelinx, indiquait hier (jeudi), avoir « pris contact avec la présidence de l’Union européenne et reçu l’assurance de celle-ci de sa volonté de faire aboutir pour la fin de l’année l’initiative du casier judiciaire européen ». La Ministre a par ailleurs confirmé à nos collègues de la RTBF qu’elle étudiait « très sérieusement » la possibilité de créer « un complément au casier judiciaire qui contiendrait certaines condamnations effacées (pour les délinquants sexuels) et dont il faut néanmoins avoir une trace ». Ce casier « ne serait pas accessible au grand public. On a vu les erreurs que cela engendrait, au Royaume-Uni notamment. Mais serait très rigoureusement limité ».

Un casier bis vu avec réticence ... par la Commission

La Commission est, en revanche, moins enthousiaste au projet de créer un « casier bis », un fichier reprenant les ADN des délinquants sexuels, une idée pourtant soutenue par tous les spécialistes de lutte contre la pédophilie et reprise par le ministre de la Justice français, Dominique Perben, qui a écrit il y a quelques jours à ses homologues sur ce sujet.

Une nécessité : accélérer la mise en place d'un cadre minimal de procédure pénale

Les mesures de suivi pas incluses

L’existence d’un casier européen dans un cas comme celui de Michel Fourniret, qui joue à saute-mouton avec la frontière franco-belge ne résoudrait d'ailleurs pas tout. Cette affaire évoque aussi la délicate question du suivi des criminels. Or, les mesures de mise à l’épreuve ou de suivi psychologique demeurent de la responsabilité exclusive de la juridiction qui l’a prononcé. Rien n’est prévu pour transmettre cette responsabilité aux autorités judiciaires de l’Etat où réside l’ancien condamné !

Une nécessité : harmoniser aussi le contenu

Dans ce contexte, le cas Fourniret est un « excellent cas d’école » commente un diplomate européen, magistrat de profession. « Cette affaire le montre. Créer un casier judiciaire européen ne suffira pas. Il faut aussi harmoniser son contenu ». Le casier judiciaire national est, en effet, le reflet des prescriptions, sursis, amnisties et autres effacements de peines propres à la loi nationale. Autant de pays, autant de règles. Le chantier ouvert est donc immense !

Des casiers judiciaires aussi différents que des Etats

Tous les pays n’ont pas le même type de casier. En Italie, ainsi, il existe un seul casier judiciaire tandis qu'en France, il existe trois niveaux de casiers — l'un est accessible aux seuls magistrats, l'autre aux administrations, le troisième est plus général et ouvert aux citoyens — ! Revoir le problème des déchéances (droits, fonction publique…) apparait aux yeux des spécialistes comme le « plus important ».

L'absence d'équipe d'enquête commune

Cette affaire met également en lumière l’absence d’enquête commune. Même avec une bonne coordination, rien ne remplacerait une « vraie » équipe conjointe d’enquête, belgo-française. Une décision-cadre européenne a été adoptée sur ce sujet en juin 2002 et est entrée (théoriquement) en vigueur depuis fin 2003. Mais c’est pour l’instant davantage un vœu pieux qu’une réalité. Bien peu d’Etats membres ont eu la volonté de la mettre en application.

L'obstacle judiciaire

Quant à un procès unique, ou au moins la tenue de deux procès coordonnés, il n’existe aucun texte qui le permette actuellement. Et ce n’est pas demain la veille. Vu les différences de procédures... L’Europe ne pourra pas se passer éternellement d’un code minimal de procédure pénale commune.

Commentaire : Une raison d’espérer …

Une raison d’espérer cependant. L’affaire Dutroux avait fait bouger l’Europe d’un poil. En mettant au point une décision contre la pédopornographie et un programme, dénommé Daphné, d’assistance aux enfants ou femmes victimes de violence. L’affaire Fourniret fera peut-être prendre conscience à nos ministres de l’Intérieur que la libre circulation est désormais une réalité et que rien ne sert d’avoir de belles lois si elles diffèrent d’un pays à l’autre et qu’il est impossible d’en obtenir l’exécution, passé le poste de douane... qui n’existe plus.

Nicolas Gros-Verheyde

(*) Version longue et remaniée des articles parus dans France-Soir, 2 juillet 2004, et Ouest-France

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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