Et la Constitution européenne vit le jour chétive et aveugle
Les conventionnels réunis à Bruxelles hier ont finalisé leur travail pour bâtir un nouveau traité sur l'Europe du futur
Heureux ? Oui apparemment, le président de la Convention sur l'avenir de l'Europe, Valéry Giscard d'Estaing est fier d'avoir terminé son travail. « Le résultat n'est pas parfait mais il est inespéré. Nous avons pu bâtir des consensus qui paraissent acceptables et justes pour la plupart des Etats membres ». Et avec un brin de lyrisme emprunté, plus digne cependant d'un étudiant de sciences po en mal d'inspiration que d'un ancien président de la république, il ajoute : « Nous avons semé des semences d'un peuple européen. Un demos europeo ».
La Convention est close, ou à peu près. Applaudissements, hymne à la joie, champagne, embrassades… Mais à regarder de plus près le pavé de 260 pages, pondu par les "conventionnels", l'enthousiasme retombe. Rédigé par des sans-culottes en costumes cravates, le texte est poussif. Son préambule tout particulièrement. Mais où sont passés la ferveur des déclarations révolutionnaires françaises ou américaines, le sens des formules des pères fondateurs dans le traité sur le charbon et l'acier, la concision de la convention européenne des droits de l'homme ? Célébrant à la troisième personne une « Europe, un continent porteur de civilisation », la Constitution oublie le "Nous", seul à même pourtant de remplir son objectif : faire s'approprier par les lecteurs-citoyens ce corps étranger que pourrait devenir l'Europe.
La suite est du même acabit. Avec des cotés positifs… parfois. Les compétences de l'Union sont ainsi clarifiées. Le Parlement européen, élu par le peuple, aura désormais son mot à dire sur la plupart des décisions. Et le droit de veto des Etats membres est supprimé dans certaines autres. Mais en instituant un président du Conseil européen nommé pour deux ans et demi, concurrent de la Commission européenne, et en ne donnant pas à celle-ci des pouvoirs nouveaux, la Convention fait fi de son objectif d'efficacité. Pire ! Elle met un zeste de complexité de plus.
Et en ne voulant pas toucher aux politiques européennes , les "Conventionnels" ont oublié de donner à cette Union une impulsion nouvelle, une vision sur l'avenir ! Les Etats, et leurs diplomates, ont donc désormais les mains libres pour, dans le secret de confessionnaux soigneusement organisés, entamer une nouvelle négociation et rédiger un nouveau texte . Merci Giscard ! Au revoir…
Nicolas Gros-Verheyde
Paru dans France-Soir, juin 2003