Le festival Chirac
Chirac en fracassant le discours diplomatique consensuel s'impose comme le patriarche , sort un carton jaune aux pays candidats. Savoureuse revanche sur nos "amis" British. Analyse
(B2) Quand Jacques Chirac arrive au Justius Lipsius, le siège du conseil de l'Union européenne à Bruxelles, qu'il franchit en quelques enjambées le tapis rouge qui orne la cour, c'est avec la ferme intention de parachever sa revanche sur les atlantistes, Blair et Aznar. Arrivé un des premiers, le président français fait feu de tout bois. Il tient des conciliabules successifs avec plusieurs chefs d'Etats. Notamment avec Simitis, le Premier ministre grec.
Très détendu, volubile, émaillant ces propos de forces gestes affirmés et maintes blagues, il est attentif à tous, réussissant même à faire sourire ses interlocuteurs, les moins acquis à sa cause. Il félicite, au passage, son allié belge, Guy Verhofstadt, trouve le moyen - un verre à la main - de placer un mot à José-Maria Aznar, le premier ministre espagnol, et un autre à Wolfgang Schlüssel, le chancelier autrichien, qui vient de refuser le passage des troupes américaines par son pays. Avec les Allemands, le contact est plus froid. L'heure n'est plus aux grandes embrassades, du moins en public. Qu'importe… Le dîner qui n'est pas extraordinaire - coquilles St Jacques rôties aux truffes, osso-bucco de lotte et carpaccio d'ananas - est aussi vite avalé qu'un compromis rapidement ficelé.
Le festival Chirac peut commencer. Vers 22 heures, le président déboule dans la salle de presse. Là face aux caméras et à la presse internationale, fidèle à l'ancestral "Messieurs les Anglais tirez les premiers", il livre sa botte secrète. A peine les premières questions posées, il se lâche, dire leurs quatre vérités aux pays candidats. Une sortie calculée à l'extrême, avec la pointe d'outrance et de dérapage nécessaire, pour atteindre un triple objectif. En premier lieu, sortir le carton jaune : les pays candidats ont fait une erreur stratégique en signant des déclarations séparées avec les Anglais. Un constat partagé par nombre de délégations, et par la Commission européenne. Ensuite, occuper le terrain médiatique.
Dans les couloirs du Justus Lipsius, la rencontre organisée par la présidence grecque avec les chefs de gouvernement des pays candidats ne bruissait que de commentaires, crispés ou hilares, sur la sortie du "patriarche". Enfin, couper l'herbe sous le pied de Blair, qui hier mardi, s'apprêtait à réitérer son coup de la lettre de soutien aux Américains, en faisant circuler parmi les pays candidats une nouvelle missive. Si le missile a atteint son but, ce n'est pas sans danger collatéral. La France a oublié, encore une fois, de tendre les bras aux pays candidats. Le pardon viendra plus tard…
Nicolas Gros-Verheyde, à Bruxelles
Paru dans France-Soir, février 2003