Les “bonnes” raisons de la réforme du service national (Fr)
(extrait de l'ouvrage "Réforme du Service national", paru aux éditions Puits Fleury, février 1998)
Le début des années 1990 a marqué un tournant pour l’armée et, au-delà, pour le service national. C’est, en effet, à cette date qu’une réflexion sur l’avenir de l’armée française a été entamée au niveau officiel. La France avait depuis 1905 opté pour une armée mixte. Ce principe impliquait que les armées françaises étaient composées de jeunes appelés dans le cadre de la conscription et de cadres professionnels ayant opté pour la carrière militaire. Toutefois, afin de prendre en compte le concept de défense élargie ainsi que le cas des objecteurs de conscience, le service national avait déjà été sensiblement diversifié dans ses modalités d'exécution et de nombreuses formes civiles ont pris leur essor. L’engagement de troupes françaises dans le Golfe persique (aux côtés des alliés face à l’Irak) a, par la suite, démontré les limites de l’armée française. Selon un rapport publié en avril 1991, l’armée de terre française se résume en fait à 15 000 professionnels opérationnels. Ce qui est bien peu par rapport aux forces disponibles sur le papier.
1. L'armée mixte inadaptée aux nouveaux besoins de sécurité
Depuis l'effondrement du Pacte de Varsovie ont disparu tant l'hypothèse d'une grande bataille au centre de l'Europe que la menace d'une invasion massive du territoire français. Mais d’une part, toute menace originaire de l'Est n'est cependant pas à exclure si l'on en juge par les incertitudes qui caractérisent l'avenir de la Russie et par la faiblesse croissante de l'ex-Armée rouge. L'importance de l'offre de moyens de violence dans toute l'ancienne Europe communiste est d’autant plus inquiétante qu’elle est renforcée par la tentation nationaliste de l'Europe centrale . D'autre part, l'apparition de « nouvelles vulnérabilités » (trafics de drogue, développement des mafias, terrorisme...) appelle le recours à des réponses nouvelles. Si la participation des appelés à la mise en œuvre du plan Vigipirate peut justifier le maintien de la conscription aux yeux des partisans de celle-ci, il semble que le type de menace auquel est supposé répliquer le plan Vigipirate implique un professionnalisme dont peu d'appelés sont en mesure de faire la preuve, et qui justifie au contraire un effort particulier en faveur des forces de police et des services de renseignement.
Enfin, la multiplication récente des opérations extérieures — de 10 entre 1950 et 1980, le nombre d'opérations extérieures ayant impliqué la France à des degrés divers est passé à 20 entre 1980 et 1990, pour s'élever à plus de 30 depuis 1990 — a mis en évidence la nécessité de disposer d'unités assez bien entraînées et cohérentes pour être rapidement projetables, à l’extérieur du territoire français, et intervenir dans des conflits locaux qui peuvent menacer, même indirectement, les intérêts stratégiques français (guerre du Golfe) ou les engagements internationaux (Rwanda, Bosnie). Or, la participation à ce type d'opérations suppose des qualités qui caractérisent davantage une armée professionnelle qu'une armée de conscription, l'opinion n’admettant pas facilement la participation d'appelés à des conflits qui n'intéressent pas directement la défense des frontières.
2. L'efficacité opérationnelle du service militaire remise en cause par l'évolution propre de l'institution
L'institution du service militaire a évolué dans un sens défavorable à l'utilité militaire du service qu'il s'agisse de la réduction de sa durée ou de la libéralisation de la législation sur les reports.
1° Lourde contrainte de gestion. La gestion des effectifs appelés a introduit pour les armées une lourde contrainte dans l'utilisation des jeunes issus de la conscription. Ainsi, la libéralisation progressive du système des reports d'incorporation a-t-elle contribué à aggraver les contraintes liées à la gestion des effectifs. Les effectifs en report d'incorporation, estimés à 750 000 jeunes gens en 1998, se sont élevés à 1,2 million en 1994, au plus fort des dysfonctionnements induits par la libéralisation croissante de la législation en vigueur. Cette situation a nettement compromis la gestion des incorporations, en rendant nécessaire, en fonction des contraintes du moment, soit l'incorporation de la « tranche de naissance » (jeunes gens n'ayant pas demandé de report et incorporables selon les besoins), avec un préavis de 45 jours seulement, soit de proposer des anticipations d'appel ou des prolongations de report. Il résulte de cette gestion au coup par coup des effectifs appelés une incertitude majeure, pour les jeunes gens concernés, sur leur date d'incorporation. Par ailleurs, les armées, et l'armée de Terre au premier chef, ont constaté un déséquilibre quantitatif très net de la ressource appelée entre les premier et deuxième semestres. D’où un sous-effectif parfois critique dans certaines formations de l'Armée de terre. De plus, la disponibilité maximale des unités à base d'appelés est concentrée sur le deuxième trimestre, rendant difficile, pendant cette période, la mise sur pied d'unités à base d'appelés volontaires pour les actions extérieures (AVAE), alors même que la gestion des crises internationales appelle une évidente rapidité de réaction.
2°) Problème de professionnalisme. On relève un lien souvent ténu entre service militaire et service des armes, si l'on se réfère aux quelque 22 % des appelés affectés au service militaire qui, en 1995, occupaient des emplois dits « militaires à caractère professionnel » (mécaniciens, comptables, secrétaires, spécialistes du bâtiment, personnels d'ordinaire et des mess...). A ces 52 000 jeunes gens accomplissant une fonction étrangère au service des armes s'ajoutaient, en 1995, les quelque 2 815 informaticiens, 858 enseignants, 3 891 scientifiques, 2 157 EOR santé et 1 173 membres des professions paramédicales qui contribuent eux aussi au fonctionnement quotidien des armées.
3°) Peu d'opérationnalité. La réduction de la durée du service militaire à 10 mois a limité à 6 mois, compte tenu de la durée des classes, la période pendant laquelle les appelés sont opérationnels dans les postes de combattants. Cette situation explique que, pour rentabiliser la formation initiale des combattants, qui ne saurait être inférieure à quatre mois, l'accès aux emplois de chef de section et l'affectation à des opérations extérieures aient été subordonnées à la souscription d'un volontariat de service long.
Source : rapport législatif n° 231 de Serge VINCON — Sénat 26 février 1997.