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Nimes sous les eaux, les pompiers aussi

Lundi 3 octobre 1988, en quelques heures, 250 à 500 ml d'eau s'abattent sur Nîmes et ses environs. Le phénomène est très localisé - Nîmes Garons à quelques km, ne recevra que 30 ml d'eau - mais violent - la vitesse des eaux atteint parfois celle d'un torrent de montagne - et puissamment destructeur: 8 morts, 40.000 sinistrés, 3000 voitures détruites, 4 milliards de francs. Les sapeurs-pompiers, victimes eux aussi du sinistre, sont pris au dépourvu.

6h00 du mat… la routine.

Depuis 1h00 du matin, l'orage tonne sur Nîmes et ses environs immédiats. Il n'y a pas à s'inquièter. La météo a prévu, "temps pluvieux orageux avec des précipitations persistantes et des ondées"; et de telles précipitations sont habituelles en cette saison, une dizaine de fois par an. Le Médecin Colonel Prunet quitte sa garde de nuit en se disant: "on fera du vide-caves aujourd'hui". Les premiers appels pour l'inondation de bas quartiers à Sommière puis Nîmes sont gérées au niveau des centres de secours concernés.

7h00 du mat, Nîmes s'inquiète.

Les pluies s'intensifient. L'officier de garde du CSP Nîmes, décide de maintenir à la caserne la garde descendante. Le CODIS organise quelques renforts, à partir des centres de secours voisins; et constitue par anticipation une colonne inondation du Haut-Gard au CS Lédignan, à 10 kms de Nîmes. Le Lieutenant Colonel Mercier, Directeur Départemental d'incendie et de Secours, bloqué chez lui est tenu informé.

8h00 du mat, Nîmes clapote.

Les cadereaux (petits ruisseaux) débordent. De nombreuses voies de communication et une partie des réseaux EDF et PTT (central de Natoire) sont coupées. Le CODIS, situé dans la zone industrielle, est rapidement inondé par l'eau des collines voisines. Les énergies auxiliaires (groupe électrogène, batteries, cableries) noyées sont hors service. Une liaison avec Nîmes est établie par un portatif, du haut d'un batiment. L'ordre d'évacuation du CODIS est donné. Au CSP de Nîmes, situé près de la gare, le DSIS, acquiert le sentiment, au fur et à mesure de la montée des eaux, qu'il faut engager des moyens importants. A 8h55 il demande, par liaison radio, au CODIS de l'Hérault, d'organiser les colonnes renforts terre et air.

9h00 du mat, Nîmes surnage.

Dès 9h00, la colonne de 5 véhicules du Haut-Gard, est en action dans les secteurs Castanet et Maison de santé protestante, à l'ouest de la ville. Mais, en moins d'une heure, la situation a viré à la catastrophe. Les réseaux PTT et EDF sont coupés presque partout. Dans la ville, c'est l'apocalypse: palettes, citernes de propane, voitures,… Tout est emporté. Les initiatives de sauveteurs individuels, prennent le relais des moyens traditionnels d'alerte et de secours, gravement perturbés. Au CSP Nîmes, les transmissions se taisent, mais le groupe électrogène (situé en hauteur) démarre. A 9h25, une station radio installée sur la terrasse de la caserne, alerte le CIRCOSC de Valabres et se met en écoute sur le réseau départemental. Le plan ORSEC est déclenché à 9h45 (mais le message ne parviendra qu'à 11h00 au Ministère de l'Intérieur, problèmes de transmission).

10h00 du mat, Nîmes sous le choc.

Si "les premières opérations de secours ont été marquées par une certaine incohérence due à l'absence de communications, l'entrainement des sapeurs pompiers à l'action sectorisée, acquis au cours de la lutte contre les feux de forêts, a permis de pallier ces manques. Le raccourci des circuits administratifs a permis de suppléer aux nombreux problèmes d'organisation, d'intendance et au manque de personnel".

Le CODIS 34 et le Centre de secours du Grau du Roi assurent le relais, en transmettant par radio sur le CSP Nîmes, les demandes de secours, la régulation partielle des secours et les départs de colonnes de renforts. "Quand vous êtes isolés, toute voie de communication interrompue, les seuls éléments d'appréciation sont des informations de proximité". A 10h45, Dragon 34, le 1er hélicoptère opérationnel réussit à donner la première vision globale de la zone sinistrée.

11h00, Nîmes réagit

Les secours passent par la voie des airs. En effet, les colonnes de secours terrestres sont bloquées aux portes de Nîmes par l'eau et tous les objets sinistrés en travers. En fin de matinée, la ronde des hélicoptères s'accélère, 7 appareils effectuent de très nombreux sauvetages, dont certains in extremis: personnes perchées sur le toit de cars ou les panneaux de signalisation. Au CSP, on a installé un poste médical avancé: "dans la salle de cours, on avait sorti des lots de couverture, et les blessés installés au fur et à mesure des arrivées; une centaine, du petit bobo à la fracture de jambes. Les plus graves furent évacués sur les hopitaux du département".

13h00, Nîmes, sort la tête de l'eau.

L'opération de secours rentre peu à peu dans les shémas plus classiques de catastrophe. A 14h30, la plupart des chefs de service sont réunis à la Préfecture pour coordonner leur action et apprécier l'évolutivité de la situation. Dans l'après-midi, les renforts d'autres départements arrivent enfin à pénétrer, 800 interventions seront effectuées dont 150 par les 18 hélicoptères en action. Le rétablissement des communications amène son contingent de fausses rumeurs: on parle de cent morts, d'enfants noyés dans leurs cars…

A 20h, la structure de commandement est en place. Dans la soirée, l'accès à l'hopital, encombré de véhicules enchevêtrés est dégagé par le génie et la DDE. Le ministre de l'Intérieur, Pierre Joxe, vient visiter les différents chantiers et… constater les efforts à mettre en oeuvre en matière de sécurité civile …!

Pour que les services de secours ne soient plus "sidérés" les premières heures, les sapeurs-pompiers de Nîmes, forts de leur expérience, ne manquent pas de propositions en la matière. Constatant que "plus une civilisation est évoluée, plus elle est fragile,… quand il n'y a pas de liaisons, ça ne marche pas ou du moins il y a des flottements au démarrage", ils suggèrent d'installer "dans chaque département un mini-Taverny". Ce qui suppose notamment de : "1) mettre les centres de décisions opérationnels (Préfecture, Codis, Samu) hors d'atteinte de risques majeurs (eau, feu, chimie,…), 2) sécuriser les liaisons sensibles PTT et radio (relais, lignes spécialisées), 3) avoir une liaison téléphone par satellite inmarsat, 4) disposer d'une base hélico, 5) créer des hélisurfaces aux points névralgiques … etc.

(Nicolas Gros-Verheyde) - Paru dans Noria Magazine, mars 1989

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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