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[Yougoslavie Mémoire d’un désastre] 1991, L’armée yougoslave, vraiment puissante ?

La guerre d’intoxication bat son plein en Yougoslavie. Les fédéraux Serbes forts d’une puissance théorique de 700.000 hommes, masquent un taux de désertion important. Les
sécessionnistes Croates pleurent sur un approvisionnement en armes, qui ne semble pas sur le terrain être si pitoyable.

Sur le papier, l’armée fédérale yougoslave est toute puissante. Forte de 180.000 hommes en temps ordinaire, elle dispose d’un réservoir théorique de 510.000 réservistes. Mais pour combien de temps
encore ? Plus le temps passe, plus ses forces, malgré l’ordre de mobilisation générale et de rappel des réservistes, au lieu de monter en puissance, ont tendance à se réduire telle une peau de
chagrin. Après les Slovènes et les Croates qui ont abandonné l’armée fédérale en même temps que leur Etat se proclamait indépendant, le 25 juin dernier, l’heure est aujourd’hui pour toutes les
composantes de l’armée au sauve qui peut. Les Albanais et les Musulmans sont des recrues peu sûres. Les Macédoniens et les Hongrois trainent des pieds pour venir s’enrôler. 5000 conscrits de
Voïvodine refusant de partir à la guerre sont déjà partis se réfugier en Hongrie. La Hongrie qui pour éviter toute tension supplémentaire avec le gouvernement de Belgrade exige de toute personne
passant la frontière, qu’elle dépose ses armes en entrant. Même, les jeunes Serbes ne montrent pas un enthousiasme forcené. Seuls 15% des Serbes de Sarajevo (Bosnie) ont répondu à l’appel et selon
l'hebdomadaire indépendant "Vreme", la situation est identique en Serbie. La conscription n’a jusqu’à présent permis de lever que 15% seulement des serbes de Belgrade et 50% dans toute la
république. D’autant que les troupes déjà incorporées commencent à déserter par vague, comme cela s’est produit il y a dix jours dans une caserne d’Herzégovine où six cent réservistes serbes ont
plaqué leur unité et sont rentrés chez eux sans plus de formalités ; et sur le manque de combativité de l’encadrement - le commandement de la base n’a pu que laissé faire ; il a juste désarmé les
peu enthousiastes guerriers et promis des “poursuites conformément au code militaire".  Par ailleurs, le “suicide” lundi 30 septembre du contre amiral Barovic, un des
commandants de l’état major fédéral est un signe plutôt négatif du moral des troupes. Ce n’est pas les quelques centaines de volontaires des milices serbes incorporés à l’armée fédérale qui
pourront compenser ces pertes (cf tableau), sans compter les pertes en matériel, au moins une dizaine d’avions et environ une centaine de chars.

La situation n’est plus brillante chez les Croates
puisque selon Milos Vasic, spécialiste militaire de Vreme, “10.000 Croates ont déjà trouvé refuge en Slovénie (en Italie ou en Autriche)
pour éviter de faire leur service dans la Garde nationale
”. Si le rapport de forces ne permet pas aux “fédéraux” de remporter une bataille décisive dans les jours prochains, les Croates
pourront dédier une de leurs prières au… maréchal Tito ! Le “vieux” à force de clamer les mérites de l’autogestion, et de vouloir réactualiser la lutte des partisans avait en effet fait un choix
stratégique et politique d’institutionnaliser le port d’armes, les fabriques locales de fusils - une tradition particulièrement vivace en Bosnie - et plus sérieusement l’implantation de DCA dans
certaines usines. Il a ainsi offert aux différentes républiques “autonomes” des capacités opérationnelles - avec détachements territoriaux et instruction de réservistes. Un curieux renversement de
l’histoire, dont l’Armée “populaire yougoslave” se passerait  bien aujourd’hui. Comble de l’ironie, les responsables croates qui avaient déclaré dans un premier temps qu’ils ne voulaient plus
entendre parler de défense territoriale semblent contraints par les faits de s’adapter rapidement à une pratique d’armée populaire. Tandis que les Serbes tenant d’une armée populaire se replient
peu à peu sur une armée professionnelle.

(article Paru dans la Truffe 7 octobre 1991 © NGV - infographie JSI)

Annexe - les forces en présence

a) QUI RESTE-T-IL DANS L’ARMEE FEDERALE…
Professionnels (80.000)
* serbes     40.000
**autres    30.000
***    10.000
Appellés (100.000)
* serbes, monténégrains    40.000
** albanais, musulmans, macédoniens     20.000
*** hongrois, croates, slovènes    40.000
Réservistes (510.000)
* serbes, monténégrains    60.000 hommes
** divers    30.000
*** hongrois, croates, slovènes, albanais, musulmans, macédoniens, serbes déserteurs   
Total forces sûres disponibles (maximum de capacité)    140.000 hommes

Légende : * = troupes sûres, ** peu sûres, *** absents (déserteurs, réfractaires, neutres, adversaires…)
NB : attention, ces chiffres ne sont qu’une évaluation de la situation, ils permettent de donner une idée de la situation et ne peuvent être considérés comme scientifiquement exacts, vu le peu de
connaissance de la composition sociologique de l’armée yougoslave.

Total forces croates (minimum)    60.000

b). CARTE DES APPROVISIONNEMENTS EN ARME
Malgré ce qu’ils peuvent laisser croire, les Croates, comme leurs voisins Slovènes se sont équipés de façon plus que satisfaisante en armement neuf. Seul handicap - et de taille - ils ^n’auraient
(pour l’instant) pas comme l’armée fédérale d’armements lourds, une aviation et une marine. En effet, en quelques mois la Yougoslavie s’est transformé en un vaste marché d’armes où se retrouve non
seulement l’arsenal du défunt pacte de Varsovie, mais aussi des armes occidentales ou des pays en voie de développement. Selon l’hebdomadaire spécialisé Jane's Defence Weekly, l’ensemble des
bélligérants a reçu “depuis juin pour plus de 15 millions de dollars (soit 84 millions de francs) d'armes individuelles du "marché noir" et de fournisseurs étrangers agréés.”

Armée fédérale (Belgrade)
Terre     1.850 chars lourds dont 850 T-54/55,
Artillerie    1.934  canons tractés, plus de 6.000 mortiers
Air    455 avions de combat MIG,  198 hélicoptères armés.
Marine    5 sous-marins, 4 frégates  lance-missiles, 59 patrouilleurs et garde-côtes

Milices serbes
approvisionnement de :
    - Israël,
    - Armée Fédérale

Croates
    - Hongrie (Kalatchnikoff)
    - Singapour (fusils d’assault SAR-80 de la Charterde Industries of Singapore)    - Stinger (fabrication Usa - transit Chypre - destiné Afghanistan)
    - Israel (carabines sophistiquées de précission Steyr Police ou des mitraillettes israéliennes UZI)
flux continus
    - Italie (fusils italiens à canon lisse Franchi Spas 12
    - Autriche
    - Australie
    - Allemagne (Lance roquettes anti-chars allemands MBB)
   + Armée fédérale (stock territorial)

Lieux de fabrication
    Hélicoptères (Serbie sud est de Belgrade, 80 kms)
    Chars (Bosnie - près Sarajevo)
    L'usine Zastava fabrique les M72 et AK47 à Kragujevac (Serbie)
    A Mostar (Bosnie) : fabrication d'avions Galeb et SuperGaleb

c) Répartion de la population
Serbes    36%
Croates    20%
Musulmans    9%
Slovènes    8%
Albanais    7%
Yougoslaves    5%
Monténégro    2%
Hongrois    2%
divers    5%

(article paru dans la Truffe, quotidien français, novembre 1991)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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