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L’Iran privé de débouché européen pour son pétrole

(BRUXELLES2) Dans quelques heures, le 1er juillet à 0h00, plus une goutte de pétrole iranien ne devra entrer dans l'Union européenne. C'est la conséquence d'une mesure prise en janvier par l'Union européenne pour sanctionner le régime iranien pour la poursuite de son programme nucléaire pas tout à fait civil...

Une mesure unique

Une mesure pour le moins peu courante qui n'a pas été prise sans douleur. Les temps ne sont guère propices à se priver de ressources énergétiques à bon marché. « L’Europe n’a jamais pris de telles mesures dans de telles conditions. En décembre, on aurait pu dire que c’était mission impossible » souligne en effet un expert du dossier. D'autant qu'elle s'accompagne de mesures complémentaires, frappant le transport du pétrole, le crédit et l'assurance.

Il a donc fallu donner un délai aux différents pays européens qui ont l'Iran comme fournisseur : la Grèce essentiellement, l'Espagne ou l'Italie également. Des pays qui ont plutôt quelques soucis de trésorerie en ce moment ; la fin du pétrole iranien, acheté à crédit, tombait on ne peut plus mal. Mais les ministres des Affaires étrangères, le 25 juin dernier à Luxembourg, n'ont pas voulu revoir cette décision prise en janvier dernier. Pour prolonger la dérogation, il aurait d'ailleurs fallu l'unanimité (c'est d'ailleurs l'aspect "intéressant" de cette décision : avoir acté en janvier un embargo, avec une dérogation laissée jusqu'à fin juin, sans prévoir de prolongation automatique).

Frapper l'Iran au portefeuille

L'UE - comme les USA - sont, en effet, bien décidés à toucher l'Iran là où çà fait mal : au portefeuille ! Comme l'explique un officiel européen, le pétrole représente 80% des recettes extérieures de l'Iran et 50% de son budget. Et, environ 20% du pétrole exporté l'est à destination de l'Union européenne (*). « L’effet n’est pas négligeable. » Il ne se manifestera pas tout de suite à plein , selon lui. « On peut s'attendre à un plein effet de cette mesure plutôt à la fin du second semestre 2012 ». Mais « On le voit déjà dans les chiffres, bien sûr, pas officiels. Il y a une diminution (des exportations de pétrole), selon les chiffres officieux. »

Compensation difficile pour l'Iran dans un contexte de crise

Les risques pervers de cette mesure semblent limités, selon lui.  « L’Iran ne pourra pas compenser. Ce n’est pas toujours facile pour ces États de substituer l’UE aux autres. » Le danger était, en effet, de voir le régime trouver d'autres clients sur le marché ou profiter d'une hausse du pétrole et compenser par la hausse du prix la baisse de la quantité. Ce double risque est pour l'instant contourné. « Il n'y a pas d'augmentation du prix ».

D'une part, la crise économique rend plutôt les cours de pétrole bas, la demande ayant tari l'effet inflationniste. Un léger rebond vient d'avoir lieu aujourd'hui en fin de sommet européen. Mais on ne peut se hasarder à faire des conjonctures pour l'avenir. Et, plusieurs pays pétroliers, du Golfe, notamment ont promis de compenser la diminution du brut iranien, pour éviter un emballement des prix. Ce qui a permis aujourd'hui de limiter le cours du pétrole.

Un embargo suivi d'autres mesures

D'autre part, plusieurs pays ont déjà suivi ou s'apprêtent à suivre l'Union européenne. La voie généralement trouvée n'est pas l'embargo total - seule l'Europe l'a imposé. « L'interdiction totale est une exclusivité européenne ». Le Japon et la Corée du Sud notamment (10% chacun des importations du brut iranien), l'Inde également se sont engagés à baisser leurs importations. Une décision qui ne s'est pas toujours prise de façon tout à fait spontanée. Elle suit un engagement américain d'accorder des dérogations aux pays commerçant avec l'Iran qui acceptent de baisser leurs importations de pétrole.

Enfin, l'Europe a rajouté une louche dans son embargo européen en prenant deux mesures complémentaires : l'interdiction de l'assurance et le transport de produits pétroliers iraniens. Ce qui touche de façon indirecte les exportations iraniennes vers d'autres pays ; il rend ainsi plus risqué les achats de pétrole iranien (ailleurs que sur le spot market). Et, là, c'est encore moins facile pour trouver des "assureurs" ou "financeurs" prêts à prendre le relais. « Une lettre de crédit nécessite d'être émise par une banque ayant une excellente note » par les agences de notation. De plus en plus rare, en ce moment...

D'autres sanctions : pas tout de suite

Quant à prédire d'autres sanctions contre l'Iran, notre interlocuteur se montrer prudent « Beaucoup de ce qui pouvait être fait a été fait. Car le pétrole est la principale source (d'argent) du régime. » « Des mesures additionnelles peuvent être prises, mais ce ne sera pas facile. (...) Une mesure (d'embargo, de sanction)s doit viser le régime et, dans le même temps limiter, l’effet pour la population. » « Il ne s’agit pas simplement de prendre les principaux secteurs de l’économie iranienne et de viser les principaux, il faut mesurer l’effet exact sur le régime et sur la population. »

(*) L'Union européenne est le second client du pétrole iranien (18%) après la Chine (22%), devant le Japon (14%), l'Inde (13%), la Corée du sud (10%) et la Turquie (7%)

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Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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