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Sanctions contre la Russie… Qui gagne ? Vénus ou Mars

Le président Obama reçoit le Premier ministre ukrainien Yatsenyuk (crédit : Maison Blanche : USA)
Le président Obama reçoit le Premier ministre ukrainien Yatsenyuk (crédit : Maison Blanche : USA)

(BRUXELLES2) Face aux avancées russes en Crimée, Washington a annoncé, tambour battant, le gel, à deux reprises, le gel des avoirs de plusieurs personnalités proches du pouvoir russe. Un coup de tonnerre ! Les Européens ont été plus discrets et progressifs, apparaissant plus timides dans leur approche. Or n'en déplaise aux amateurs, si le bruit des premiers est plus sonore, la discrétion des seconds parait plus efficace.

Un effet lent des sanctions sauf...

Tout d'abord, il y a un fait. Ces sanctions "individuelles" n'ont un effet possible qu'à très long terme. Elles ne peuvent avoir un effet rapide que sur les régimes faibles, déjà "pourris" de l'intérieur, et autocratiques, où le régime est exercé de manière personnelle, corrompue... et friable. Par exemple, sur un pouvoir exercé de façon familial comme en Tunisie avec Ben Ali, ou de manière très personnelle comme en Ukraine avec Ianoukovitch, les sanctions individuelles peuvent avoir un effet rapide, de coup de butoir supplémentaire, dans une situation où le pouvoir est déjà fragilisé.

Cela ne fonctionne pas quand le pouvoir est exercé d'une "main de fer", où la "terreur" est si efficace que la moindre protestation ou désertion peut valoir la mort. Dans ce cas, les sanctions ont un effet limité, voire contre-productif, contribuant au contraire à resserrer l'étau du pouvoir envers les proches. C'est ce qui se passe en Syrie. Cela ne fonctionne pas non plus quand la main de "fer" est enveloppée de "velours" et que le pouvoir n'est pas exercé par un seul homme, mais par un système. Ce peut être le cas en Russie.

A Moscou, on ne sent pas vraiment une opposition en mesure de l'emporter. Au contraire, l'élan patriotique né de la "réunification" de la Crimée à la Russie (c'est comme cela qu'est présentée cette "annexion") a plutôt consolidé le pouvoir. Celui-ci, malgré les apparences, n'est pas exercé par un seul homme isolé mais par un système. Autour de Poutine, il y a non seulement toute une équipe mais un pouvoir complet.

L'interdiction européenne plus puissante que l'interdiction américaine

Cet effet "très relatif" des sanctions indiqué, il faut regarder lesquelles sont les plus efficaces ? Désolé de décevoir ceux qui tapent à bras raccourci sur l'Europe dès qu'elle annonce une décision. Les décisions européennes semblent les "moins inefficaces". Tout simplement, car la zone couverte par l'UE est plus proche, plus large et plus importante pour la Russie que les Etats-Unis.

De plus, derrière les Européens s'agrègent en général un certain nombre de pays, du continent. Il y a ainsi plus de probabilité qu'un Russe ait des avoirs dans une banque luxembourgeoise, autrichienne, suisse... qu'à Washington ou dans l'Etat du Dakota, ait une résidence ou navire de luxe sur la côte bulgare, la côte d'Azur en en Toscane, que dans le désert du Texas ! Car le gel des avoirs ne concerne pas seulement les avoirs bancaires, il concerne toute sorte d'avoirs, immobiliers compris, qu'il est difficile de déplacer en 24 heures...

C'est un peu comme si on interdit à un petit délinquant de banlieue parisienne de fréquenter les dix communes voisines - le supermarché et le cinéma - ou de l'interdire de séjour à Jersey et Guernesey. Que croyez-vous qui aura le plus d'effet !

Une guerre de mots par "proxy"

Les sanctions américaines m'apparaissent davantage de l'ordre de la communication publique et de la pression politique, non pas sur la Russie mais sur l'Europe. Elles ont davantage un effet par ricochet, par "proxy". En prenant ce type de sanctions, les Etats-Unis obligent ainsi les Européens à avancer un peu plus fort, un peu plus vite... Et la vraie bataille se joue sur les sanctions économiques. Ce qui est plus facile, là encore à dire et à faire pour les Américains, que pour les Européens. Pour les premiers, les conséquences sont davantage d'ordre théorique, ou du moins minimes ; pour les seconds, frapper de sanctions économiques la Russie, c'est accepter de se couper un bras... Il est toujours facile d'être dur quand on est loin et que l'effet économique est minime !

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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