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Que faire des pirates arrêtés ? Où les juger ? Où les emprisonner ? Réponses …

(crédit : Marine US/5e flotte)

(BRUXELLES2, analyse, exclusif) La relaxe des suspects arrêtés constitue une préoccupation pour la communauté internationale. Mais les esprits évoluent comme l'a constaté B2 lors d'un entretien en 'solo' avec un diplomate de haut niveau très au fait de ces questions (Celui-ci a préféré, pour être plus libre, parler sous l'anonymat).

Un entretien très intéressant car nous avons pu aller au fond de deux sujets principaux : pourquoi certains suspects sont relaxés ; comment peut s'effectuer la poursuite en justice de ceux qui sont arrêtés. Et quelle solution pratique est envisagée à court terme.

Pourquoi les pirates sont relâchés ?

La relaxe des suspects constitue effectivement un problème. Mais est elle est parfois inéluctable. « Nous avons cherché à savoir pourquoi des suspects sont relâchés. Et il faut bien distinguer certaines hypothèses. »

  1. « Les personnes abordés sont parfois de réels pêcheurs. D'autres peuvent être des trafiquants en êtres humains ou autres délinquants, pour lesquels nous n'avons pas de mandat », contrairement à la piraterie, érigée en délit et donnant compétence aux pouvoirs publics d'arrestation.
  2. L'absence de preuves. On peut avoir « toutes les indications que des pirates vont commettre un acte ou ont commis un acte. Mais aucune preuve suffisante pour permettre une poursuite judiciaire. Par exemple, si on prend un individu porteur d'une brassière ou d'effets provenant d'un navire otage, il y a de gros doutes qu'il ait participé à cet acte. Mais rien ne permet non plus de supposer qu'il n'a pas trouvé ou qu'on lui a donné ces effets. En tout cas, rien de précis (le lien de causalité comme on dit en droit français) pour le traduire en justice ». Tout un travail a été entamé à Interpol, pour collecter toutes les preuves tenant aux pirates ayant tenté de commettre un acte, ou l'ayant commis, mais qui ont été relaxés. Une base de données a été constituée - pour l'instant en Virginie et qui sera transférée à Lyon (siège d'interpol ensuite). Base qui pourra être consultée en temps réel par les différents navires participant aux opérations anti-piraterie. L'intérêt est de pouvoir ainsi pouvoir repérer des cas de récidives.
  3. La présence de preuves mais pas suffisantes pour aller faire une procédure. « On a peut-être mis la barre trop haut. » explique le diplomate à B2. « Il faut peut-être revoir cette échelle de preuves. Nous en avons discuté avec certaines autorités judiciaires de la région qui n'avaient pas la même échelle que nous ». Des officiers judiciaires pourraient être embarqués sur certains navires de la coalition afin de parfaire la coordination ou de faire les premiers recueils de preuves selon les lois en vigueur, notamment aux Seychelles.

Comment peut s'effectuer la poursuite en justice de ceux qui sont arrêtés ?

Plutôt que la mise en place d'un tribunal international, qui paraît compliquée, les experts internationaux travaillent essentiellement sur le problème de la détention des pirates somaliens, une fois qu'ils sont condamnés. « Nous sommes partis des 7 options présentées par le secrétaire général de l'ONU, aux trois options dans le rapport de Jack Lang à finalement deux options : la poursuite en Somalie ou dans les pays de la région ». Exit donc l'hypothèse d'une juridiction internationale trop longue et compliquée à mettre en place.

La solution "somalienne" est aussi très compliquée à mettre en place. « Au mieux, il faudra plusieurs années nous disent les experts ». Et, puis il y a également le principe arrêté. Malgré tous les obstacles, il y environ « 1000 pirates qui sont devant un juge aujourd'hui » de par le monde, l'essentiel dans les pays de la région mais aussi aux Etats-Unis, en Europe, en Corée ou en Inde. « Imaginez ce que cela représente en charge pour les tribunaux somaliens ». Il y a aussi le décalage culturel. « Notre concept européen de « Rule of Law » est assez difficile à transposer en Somalie, voire même assez « surprenant ».

Enfin, la solution du jugement dans les pays du pavillon, ou des victimes, c'est-à-dire dans les pays du "nord", se heurte à différents obstacles politiques et/ou juridiques. Certains Etats européens n'ont toujours pas de législation adéquate. « Tout le monde n'a pas admis la compétence universelle pour les pirates. Si les Français, les Américains, les Japonais l'ont fait, pas les Britanniques ou les Danois par exemple. » Cette solution n'est pas exclue complètement. Elle répond à des préoccupations diverses. « Nous voyons bien la nécessité d'un partage des charges dans la poursuite en justice. »

Quelle solution pratique à court terme ?

La solution pratique retenue à court terme est donc le jugement dans quelques pays de la région et le transfert pour accomplir la peine, une fois le jugement accompli dans une prison somalienne. Ce qui a l'avantage de pouvoir plus facilement réinsérer le pirate somalien dans sa société d'origine et d'éviter d'importer dans d'autres pays de la région ou en Europe, plusieurs centaines de cas. Simple à dire, plus difficile à faire.

Le travail est « plus compliqué » et plus lent, qu'on peut le supposer. Il faut en effet que toute la chaine pénale et judiciaire soit mise en place : du jugement à l'emprisonnement, en passant par l'autorisation de transfert au contrôle judiciaire, la législation pénale, la prison, le contrôle judiciaire.

Coté prisons, le travail est déjà avancé. Il faut en effet avoir à la fois des prisons conformes à certains standards à la fois en matière de traitement humain et de sécurité (éviter les prisons passoires). La prison d'Harghisa (au Somaliland) vient d'être refaite, avec le concours de l'Unodc (l'organisation de l'ONU chargée de la lutte contre la criminalité ; les travaux commencent à Bossasso (au Puntland).

Pour la législation pénale, en revanche, ce n'est pas encore çà. La Somalie - au niveau du gouvernement fédéral de transition (GFT) - n'a pas prévu que la piraterie était un crime qui pouvait être poursuivi. « C'est un problème - reconnait notre interlocuteur - les législateurs somaliens doivent encore approuver cette loi ainsi que la loi de transfert des prisons ».

Enfin coté transfert, c'est un sujet complexe. Il faut mettre au point un accord entre les pays concernés : le pays d'origine et le pays de destination (Somalie). Mais il faut aussi recueillir l'accord de chaque Etat qui a arrêté les prisonniers (ou de l'Union européenne s'il s'agit de l'opération EUNavfor). Un premier accord de transfert a ainsi été négocié entre les Seychelles et les différentes entités somaliennes, avec un petit retard, seulement coté Somaliland. Celui-ci refusait tout d'abord d'accueillir dans ses prisons, d'autres prisonniers que ceux provenant Somaliland. Ce qui réduisait quasiment à néant l'intérêt du texte. En fait, c'est surtout l'accueil des prisonniers du Puntland qui posait problème. Finalement il a accepté de prendre en charge aussi des prisonniers du sud de la Somalie et a accepté l'accord. Un premier transfert pourrait avoir lieu dans les prochaines semaines, ou mois, des Seychelles vers le Somaliland. Un « cas test », plutôt « facile », concernant sans doute un prisonnier originaire du sud Somalien.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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