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13 pêcheurs iraniens libérés par la marine US. Un geste diplomatique aussi (Maj2)

(BRUXELLES2) Le hasard fait bien les choses. En pleine crispation entre Iraniens et Américains sur le détroit d'Ormuz, les forces américaines ont aujourd'hui libéré 13 Iraniens capturé par les pirates somaliens. C'est à 12h30 locales que l'hélicoptère SH-60S Seahawk du destroyer lance missile de l'USS Kidd (DDG100) a repéré un skiff suspect qui se trouvait le long d'un dhow iranien Al Molai.

Le récit de la Navy

« Dans le même temps, nous avons reçu un appel de détresse du capitaine du Al Molai, déclarant qu'il était retenu en otages par les pirates. » souligne le communiqué de l'US Navy. « Le Al Molai a été pris par les pirates il y a environ 40-45 jours » a expliqué Josh Schminky, l'agent du service d'investigation criminel à bord du Kidd. « Ils étaient otages, dans des conditions difficiles, soumis à violence, avec des rations limitées, sans aide médicale. Et nous avons des raisons de croire qu'ils étaient forcés contre leur gré d'assister les pirates dans d'autres opérations des pirates. »

Pirates retenus à bord

Les marins iraniens ont été pris à bord du Stennis, nourris, soignés le cas échéant. Les 15 pirates suspects n'ont pas résisté lors de l'abordage par les militaires et se sont rendus immédiatement. Ils restent pour l'instant détenus sur le Al Molai par l'équipe d'abordage du Kidd jusqu'à lundi prochain avant d'être transféré sur l'USS John C. Stennis ; il sera alors statué sur leur sort et leur éventuelle traduction en justice.

« Nous sommes en consultation avec nos partenaires internationaux » a expliqué Victoria Nuland, la porte-parole du Département d'Etat lors de son point de presse le 6 janvier. « Malheureusement, il n'y a pas de nouveauté. Nous avons plus d'un millier de pirates qui ont été pris en mer et sont actuellement poursuivis dans une vingtaine de pays. Donc c'est toujours la question de savoir où les envoyer et qui assurera les poursuites ».

En théorie, c'est à l'Etat des victimes et du pavillon du bateau piraté, en l'occurrence l'Iran, de définir s'il veut poursuivre les pirates. Un pays qui a justement interdit il y a quelques jours au porte-avion américain de roder dans les parages des côtes iraniennes...

Une opération pour la marine US qui survient en pleine crispation avec l'Iran

Cet évènement s'inscrit en effet dans une nouvelle phase de tension entre l'Iran et les Américains. Les USA ont renforcé leurs sanctions contre la république islamique menaçant de geler les avoirs de toute institution financière qui travaillerait avec la Banque centrale iranienne sur le commerce du pétrole. Entre deux manoeuvres dans le détroit d'Ormuz de la marine iranienne, le général  Ataollah Salehien, commandant de la flotte, avait envoyé un avertissement à la marine US, le 3 janvier : « Nous recommandons, conseillons ou plutôt nous lançons un avertissement au porte-avions américain qui a quitté le Golfe persique où il constituait une menace pour nous. Il ferait mieux de ne pas revenir. Notez que nous n’avons pas pour habitude de répéter nos avertissements. » a-t-il expliqué selon une dépêche de l'agence Irna. Américains, suivis des Britanniques, avaient immédiatement surenchéri.

A Washington, lors d'un discours à l'Atlantic Council, le 5 janvier, le ministre britannique de la Défense, Philip Hammond a averti l'Iran que la « fermeture du détroit d'Hormuz était illégale et condamné à l'échec » précisant que la présence de la Royal Navy dans le Golfe d'Arabie était un « élément clé pour garder le détroit d'Hormuz ouvert au commerce international » et qu'elle veillerait avec ses alliés, au respect de « la libre circulation de la navigation dans le Golfe ». Une menace militaire à peine voilée (voir un extrait de cette intervention et les commentaires de Marc Stone, le spécialiste défense de Skynews).

Un geste humanitaire, pas de contacts direct avec l'Iran, prétend le département d'Etat

Le porte-parole du département d'Etat n'a pas voulu interprété la libération des pêcheurs iraniens comme pouvant diminuer les tensions entre Iran et Etats-Unis. Il s'agit « évidemment d'un geste humanitaire de l'équipage du Stennis de les avoir pris à bord, de les nourrir et de s'être assuré qu'ils étaient en bonne santé ». De même, elle a dénié « avoir eu des contacts directs avec le gouvernement iranien sur ce cas. Ce sont des citoyens privés ». Elle ne dément cependant pas des contacts indirects, contacts qui ont pu avoir lieu par l'intermédiaire de la Suisse qui représente en Iran les intérêts américains (Un de mes confrères américains avait posé cette question. La porte-parole ne l'a pas "entendue" !).

Décryptage : une opération trop opportune pour être totalement spontanée

On peut avoir quelques doutes sur cette version très diplomatique de geste humanitaire sans arrière-pensée. Ce sauvetage tombe trop inopinément dans un contexte tendu pour être totalement impromptu et imprévu. Premièrement, les forces de la coalition anti-piraterie disposent, en effet, en temps réel d'un état des lieux des navires aux mains des pirates. Dans cet inventaire quotidien, il ressort que plusieurs navires iraniens sont aux mains des pirates. Il y a un an déjà un rapport militaire notait que « dans le Golfe d'Arabie, les pirates continuent de lancer la majorité de leurs attaques à partir de dhows battant pavillon iranien à l'origine qu'ils contrôlent », navires utilisés en fait comme bateaux-mères. Deuxièmement, le Stennis ne fait pas vraiment des navires mis à disposition par les Américains pour les forces anti-piraterie (CTF-151 ou OTAN).

Cette opération peut donc être classée davantage dans une opération à visée diplomatique. Téhéran n'a d'ailleurs pas tardé à réagir. Dans une dépêche à l'agence Irna, samedi (7 janvier), le porte-parole du ministère des affaires étrangères a salué de façon « positive les efforts déployés par les forces américaines » pour libérer les marins iraniens. « Tous les pays ont la responsabilité d'engager leurs moyens pour lutter contre la piraterie » a-t-il ajouté. Une manière de détendre l'atmosphère après les déclarations des militaires, bombant le torse. On verra dans les prochains jours si cette détente, amorcée sur le dos des pirates, produira quelques effets.

(Mis à jour samedi 7 janvier 13h et 15h, avec les déclarations du Département d'Etat US, les éléments de contexte sur la situation iranienne, la réaction du porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien et un commentaire)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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