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CA Labonne: Eunavfor permet de limiter le risque, pas de le supprimer

l'amiral Labonne avec votre serviteur (crédit : Conseil UE)
L'amiral Labonne avec votre serviteur (crédit : Conseil UE)

(B2) Le Contre-Amiral français Jean-Pierre Labonne a tenu, durant six mois, la fonction d'adjoint au chef d'opération Atalanta ». Lors de plusieurs rencontres, notamment à Djibouti en mars, nous avons pu converser librement et il s'est prêté au jeu des questions réponses.

En avril et ces dernières semaines, on a vu se multiplier les attaques non pas dans le Golfe d'Aden uniquement mais aussi dans l'Océan indien ?

C'est spectaculaire et préoccupant. Cela nous conforte dans l'idée qu'il faut réadapter le dispositif en rééquilibrant nos interventions entre les deux zones : le golfe d'Aden et les Seychelles. C'est une équation délicate. On ne peut pas baisser la garde dans le golfe d'Aden. Nous avons planifié un renforcement de notre présence dans le sud-est de la zone. Mais cette zone - l'Océan indien - est encore plus vaste que le Golfe. Nous examinons notamment l'idée d'avoir davantage de moyens aériens qui permettent d'avoir une plus large couverture.

Un avion permet de stopper les attaques ?
Pas automatiquement. L'important est de repérer les navires suspects. L'avion que nous employons (avion de patrouille maritime) n'est donc pas un avion de combat. Mais il est équipé de tous les moyens de détection infrarouge, de radar, et a des observateurs à bord. Cela a deux utilités : soit une frégate est dans la zone, et on peut ainsi aisément la guider pour détecter le bateau mère ; soit il n'y a pas de moyens, et cela nous permet de déclencher l'alerte.

L'exemple du Tanit (voilier français pris en otage en avril) montre que des plaisanciers se hasardent encore dans cette zone. Que faire ?

On ne peut pas interdire à un plaisancier de naviguer où il souhaite. Mais nous déconseillons formellement à tous ceux qui n'ont pas d'obligation professionnelle de naviguer dans cette zone du golfe d'Aden et de l'Océan indien. Car, malgré tous nos efforts, la navigation reste à risque "++". Ce n'est pas vraiment le lieu pour aller faire de la plaisance. Il faut en prendre conscience. Le risque est d'autant plus grand qu'un voilier de plaisance est une cible de choix, par sa lenteur et son bord abaissé mais aussi par sa signification et sa valeur. Pour le pirate, un bateau de plaisance, cela signifie que derrière il y a aura quelqu'un pour payer la rançon. C'est, en quelque sorte, une banque navigante, avec la clé sur le coffre ...

Ces pirates semblent bien organisés ?

Ils utilisent des modes à la fois très rustiques à l'image de leur mode de vie - l'armement dont ils disposent est plutôt ancien - et des moyens modernes (téléphone satellitaire, GPS ...). Ce sont de bons navigateurs. Ce ne sont pas des amateurs. Rien que pour aller chercher des bateaux à 400-500 miles nautiques des côtes, cela nécessite une endurance à la mer, une vraie culture maritime derrière. Ils sont aussi bien organisés, même si l'organisation peut varier d'une région à l'autre. Ceux qui attaquent ne sont pas ceux qui gardiennent ou négocient et ceux qui gardent en otage. Ils apprennent très vite également et s'adaptent. Notre véritable crainte est que plus les rançons soient payées, plus ils se donnent des moyens pour s'organiser.

Que conseillez-vous aux armateurs dont les bateaux sont capturés : payer la rançon ?

On ne conseille pas vraiment les armateurs. On les laisse complètement libres. Et c'est de leur responsabilité. La logique est de sauver la vie de l'équipage. Mais en payant la rançon, on entretient la dynamique du piratage, l'appât du gain.

Pourquoi vous n'intervenez pas militairement?

Quand les pirates ont pris les gens en otage, cela change la nature de l'intervention. Et ce n'est plus du ressort d'EUNAVFOR. C'est de la responsabilité de l'État (du pavillon ou de la nationalité des otages). Et tous les États ne sont pas résolus à intervenir, ou n'en ont pas la capacité. Il faut observer que les conditions d'intervention ne sont pas idéales. Loin des bases habituelles et dans un milieu qui n'est pas familier, cela nécessite une technicité et un niveau de maîtrise, assez rare. Et, surtout, il faut un engagement politique de haut niveau, l'armateur ayant tendance à avoir une négociation et payer la rançon. Car il y a risque que cela échoue, qu'il y ait des victimes parmi les équipages ou les otages n'est pas négligeable. Une intervention armée, une fois que les pirates sont à bord, est toujours dangereuse. D'où notre défi quotidien : arriver avant que les pirates aient pris pied à bord du bateau. Il faut faire très vite.

Quel premier bilan tirez-vous de l'opération ?

En matière d'organisation, de montée en puissance, on a réussi en quelques mois à monter à partir de zéro, une opération cohérente qui tient la route, avec une force en mer. Et nous avons développé des modalités de coopération, avec le monde du commerce maritime. Ce qui, en soi, est très nouveau ; le monde de la mer ayant une tradition de liberté. Il lui a fallu accepter une certaine régulation face au risque, comme l'inscription sur le système MSCHOA que nous avons développé (NB : les navires traversant la zone inscrivent dans une base informatisée, leur trajet et la cargaison transportée) et la circulation d'informations.

Et la coordination avec les autres forces présentes ?

Se coordonner est sans doute un grand mot. Mais nous échangeons régulièrement des informations non seulement avec l'OTAN et les Américains - ce qui est assez facile - mais aussi avec les Russes, les Chinois, les Indiens, ce qui est nouveau. Et cela marche bien. Quand un navire envoie un signal de détresse, personne ne se préoccupe de savoir quelle est la nationalité du bateau, c'est celui qui est le plus proche qui se porte à son secours. Sans hésiter...

La piraterie semble sans fin, et la solution militaire un pis aller ?

Nous sommes absolument conscients que l'opération militaire permet juste de limiter le risque. Mais pas de le supprimer. Nous savons tous qu'une solution de long terme passe par une approche globale, pour redonner à la Somalie tous les outils de l'État de droit, une justice, une police, des gardes-côtes, capables de maîtriser non seulement ce qui se passe dans leurs eaux territoriales mais aussi dans la zone des 200 miles (zone économique exclusive). Cela passe aussi par le développement, pour redonner des revenus possibles à la population, par l'agriculture ou la pêche. C'est extrêmement difficile. Quand on sait que le revenu ne dépasse pas un dollar par jour et qu'un pirate en une seule prise peut en toucher plusieurs milliers, cela représente bien l'enjeu qu'on doit vaincre pour changer la donne. Mais l'Europe peut le faire.

 (Propos recueillis par Nicolas Gros-Verheyde)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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