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Le pire ennemi de Cathy Ashton …

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Cathy Ashton et José-Manuel Barroso (crédit : Commission européenne)

(BRUXELLES2) "Mon Dieu. Gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis je m'en charge", cette maxime ancienne se vérifie aujourd'hui pour Cathy Ashton et le Service européen d'action extérieure (SEAE).

Discussion bruyante ...

Que la Haute représentante pour la politique étrangère et son service soit en butte avec les Etats membres (sur les nominations) ou le Parlement européen (sur la partie décisionnelle), c'est assez logique. Le Parlement européen a toujours été cantonné à un rôle très limité en matière de politique extérieure. Aujourd'hui, avec la décision sur le Service (s'il n'est que consulté sur la décision, il a la codécision sur le volet budgétaire et du personnel), il a, en quelque sorte, le "pied dans la porte" (1) et entend bien s'imposer au terme d'un bras de fer dont il a rodé le principe depuis des années... Quant aux Etats membres, ils défendent leurs intérêts également et veulent maximiser leur influence respective au sein du futur service : les grands pour préserver leur avantage de service diplomatique, les petits pour compenser leur absence sur la scène internationale, et trouver ainsi dans le SEAE un "acteur par procuration".

... et sourde rivalité

Dans cette bataille, il est un acteur dont on entend peu parler : la Commission européenne. Qui a beaucoup à gagner dans le Service extérieur mais aussi beaucoup à perdre avec le Haut représentant : dans le contrôle et la mise en oeuvre de plusieurs lignes budgétaires, dans la présence à l'extérieur. Les délégations de la Commission changent de chef et la Commission ne pourra plus y nommer qui elle veut ou, du moins, plus toute seule ; l'épisode Vale de Almeida est le dernier d'une époque qui peut paraître révolue (2).

Jusqu'à présent, la Commission a certes plutôt bien défendu ses droits. Mais la vraie bataille se situe maintenant au plan politique. Peu à peu, le Service diplomatique et sa chef acquièrent, en effet, leur autonomie (ne parlons pas encore d'indépendance ). D'une certaine façon, les coups des uns et des autres poussent en ce sens. Et même si la Baroness Ashton n'avait pas une étoffe politique conséquente, à sa prise de fonction il y a six mois, elle l'acquiert peu à peu : à Gaza hier, en Chine aujourd'hui, au Kenya-Tanzanie demain.

De fait, elle peut représenter un certain affaiblissement du président Barroso, qui va perdre son monopole de représentation extérieure qu'il chérit par dessus-tout. Ce sentiment n'est pas exprimé publiquement. Et quand on demande à l'un ou à l'autre ce qu'il en est, la réponse est  indubitablement : "il y a une bonne entente entre le président et la vice-présidente". La réalité semble légèrement différente...

Petit sentiment de mépris

Ayant eu l'occasion d'échanger à plusieurs reprises avec des membres du cabinet de Barroso sur le sujet, j'ai ressenti comme une absence de défense de la vice-présidente, voire plutôt le contraire. Exemple : sur l'absence de Cathy Ashton du conseil informel des ministres de la Défense, et la possibilité qu'elle aurait d'être remplacée par le président de la Commission par exemple, je me suis attiré cette réplique : « Si un commissaire peut parfois être appelé à remplacer le Président, ce n'est tout de même pas au Président de remplacer un vice-président ». La réponse peut paraître anecdotique. Elle traduit cependant bien le mépris qui existe au sein de l'équipe Barroso (ou d'une moins d'une partie de celle-ci) sur Cathy Ashton, qui reste à leurs yeux simplement une commissaire parmi les autres.

Et ce sentiment se reflète dans le partage des tâches au quotidien. A la haute représentante, de recevoir les ministres des affaires étrangères, au président de la Commission d'entretenir des relations avec les Premiers ministres ou présidents. Une sorte de répartition naturelle qui n'avait pas cours avec le premier Haut représentant. Javier Solana ayant pris l'habitude de recevoir qui il voulait... et, surtout, de téléphoner à qui il voulait.

Sur le service extérieur, discussions difficiles

Autre témoignage. Lors des discussions du groupe de haut-niveau, qui ont précédé l'accord sur le service européen d'action extérieure, « c'est avec Catherine Day (la secrétaire générale de la Commission) que les discussions ont été les plus difficiles » m'a expliqué un diplomate d'un Etat membre qui a suivi de près les discussions. Les discussions portent sur plusieurs sujets : le périmètre du Service, la planification et l'autonomie budgétaire, les locaux... La Commission a rechigné ainsi jusqu'au bout à donner au SEAE une autonomie budgétaire comme certaines capacité de décision - sur les chefs de délégation notamment. « Le Traité ne permet pas de déléguer à une autre structure ses compétences, budgétaire notamment,  » explique un expert du sujet.

Le "dernier missile" du Telegraph

L'article du Daily Telegraph, qui titre aujourd'hui sur la fatigue de la Haute représentante et son possible départ doit s'interpréter dans ce contexte... ainsi que dans celui des élections en Grande-Bretagne. Effectivement, la fatigue menace Cathy Ashton. Difficile de faire autrement car le boulot de Haut représentant n'est pas celui de tout repos, et est quasi-impossible à assurer avec un agenda, même calé sur 16 heures de travail par jour. De là à parier sur sa démission, cela ressemble plutôt à un travail de sape.

Il semble que ce soit davantage la nationalité (britannique) et la couleur politique (travailliste) de la Haute représentante, qui ait motivé certaines sources à être un peu plus bavardes que d'habitude. Mais cela ressemble à du "Brussels bashing" assez habituel dans des institutions européennes où les prises de position politique voire politicienne sont beaucoup plus courantes que l'apparence ne le laisse penser. Du coté de Cathy Ashton, on dément ainsi vigoureusement toute idée de départ : « la Haute représentante travaille actuellement - elle est en Chine - et n'a pas l'intention, du tout, de quitter son poste ».

Coté britannique à Londres, le changement du commissaire britannique à la Commission ne semble pas être à l'ordre du jour. Pour en avoir été témoin, lors de mon séjour récent à Londres, ce sujet qui fait "causer dans les chaumières" à Bruxelles est un non-sujet outre-Manche. Même du coté tory, on estime que c'est le cadet des soucis (3).

Changer de Haut représentant, une c...

Dieu sait si je n'ai pas été un aficionado de Cathy Ashton - avec des débuts marqués par une série de gaffes et d'erreurs politiques (4) - et si je ne partage pas toutes ses options... Mais elle est là maintenant, le travail est entamé. Ce n'est pas toujours la "joyeuse chevauchée" dont on aurait pu rêver. Mais c'est un fait : le service diplomatique prend, peu à peu, forme. Et s'il n'est pas au bout de ses peines, une première étape a été accomplie avec l'accord des ministres des Affaires étrangères des 27 sur le sujet le 26 avril. Changer de Haut représentant dans quelques mois serait une erreur, un nouveau retard. On ne va pas modifier la composition de la Commission à chaque changement de gouvernement en Europe (5). L'Europe n'a vraiment pas besoin de cela, maintenant !

(Nicolas Gros-Verheyde)

(1) Le PE dicte ses trois volontés à Cathy Ashton

(2) Le dossier "Vale de Almeida" fait des vagues au Conseil

(3)  Pour les Tories, l'avenir de la défense est avec... la France

(4) Entre autres : Catherine Ashton avait-elle raison de ne pas être à Haïti
La vision très british de Catherine Ashton sur la défense ...

(5) Faut-il préciser que le changement du Haut représentant nécessite un nouvel accord à 27. Je ne vois pas les 27 relancer le mercato des têtes de l'Europe. L'hypothèse "Miliband" relayée par mon confrère du Telegraph me semble "peu réaliste" si un gouvernement tory-libéral arrive au pouvoir en UK ; la logique voudrait plutôt un commissaire "libéral". Mais, là, c'est l'équilibre politique voulu au niveau européen (les socialistes ayant réclamé ce poste) qui se trouve remis en cause. C'est tout l'équilibre politique avec 2 Chrétiens-démocrates et 1 Socialiste dans le trio de tête qui se trouverait à renégocier. Voir ci-dessus ...

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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