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Catherine Ashton avait-elle raison de ne pas être à Haïti ?


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(BRUXELLES2) Plusieurs parlementaires et commentateurs se sont fait l’écho de l’absence de Catherine Ashton, la Haute représentante pour les affaires étrangères de l’Union européenne, qui n’était pas à Haïti juste après le séisme. Je ne partage pas leur avis. N’en déplaise à certains, je trouve qu’elle a eu raison. Aller là-bas avait quelques avantages mais aussi des inconvénients.

Certes, c'est un « momentum » politique : être là en même temps qu’Hillary Clinton ou Ban Ki Moon peut être important pour le futur.  C’est aussi un geste de solidarité : envers les Haïtiens. C’est un instant médiatique : où la présence de l’Europe doit être symbolisée,  personnifiée.

Mais il y a aussi des inconvénients tout aussi sérieux, opérationnel, politique et médiatique. Ce n’est pas vraiment un problème de places dans l'avion en soi, qui pose question (il y a toujours quelques sièges de disponible) mais cela gèle l'espace aérien pendant quelques temps, ainsi que la circulation sur l'aéroport. La sécurité générée par l’arrivée d’une haute personnalité entrave les secours. C'est un fait. La venue de Clinton a ainsi gelé pendant quelques temps, la circulation sur l’aéroport. C'est aussi céder à la politique spectacle. On vient, on serre trois mains, on prend un enfant dans les bras devant les caméras et on repart. Si Ashton avait fait çà, il m'est avis qu'elle se serait fait autant critiquer, sinon plus... Au plan politique, la discussion à New York à l'ONU et à Washington avec Clinton était plus profitable. Au plan médiatique, je ne vous fais pas la photo : entre Hillary Clinton, Ban Ki Moon et un représentant européen qui croyez-vous que les médias auraient choisi pour illustrer leur reportage ?  (*)

Catherine Ashton avait donc raison de ne pas aller à Haïti

Sa place était davantage à Bruxelles (voir le NB) pour organiser, coordonner l'action au niveau politique. Ce qu'elle a fait en convoquant (un peu tard) un conseil des Ministres extraordinaire. Ce qui est dommage, c'est qu'elle n'ait pas alors délégué la fonction de représentation de l'Europe, à un ministre déjà sur place - le vice-Premier ministre espagnol par exemple -, à un commissaire européen - après tout, c'était plutôt le rôle du commissaire à l'Aide humanitaire, en l'occurence, De Gucht - ou qu'elle n'ait pas proposé la nomination, rapidement, d'un envoyé spécial (**), à même non seulement de coordonner l'aide européenne mais d'avoir un certain rang politique. Cette dernière solution a ma préférence - même si d'excellents experts du dossier m'affirment qu'elle avait un inconvénient de compliquer la donne. Je ne le crois pas.

NB : Si en revanche, elle n'était ni à Haïti ni à Bruxelles, mais à Londres (vendredi et samedi), pour faire du shopping comme l'a relaté mon confrère Jean Quatremer sur son blog, mais surtout pour une série de briefings, en particulier, avec certains responsables du Foreign Office, comme cela avait déjà été le cas avant son audition par le Parlement européen, ce serait plus difficile à justifier. Et je n'ose y croire. La fonction de Haute représentante se doit d'être indépendante.

(*) Quant aux autres raisons invoquées par certains diplomates, invoquant le fait la fonction de Haute représentante vient juste d'entrer en fonction, que le service extérieur n'existe pas, que la Commission est en transition, etc., certes elles justifient un peu une certaine "pagaille", mais elles ne sont pas vraiment recevables au regard de l'intensité de la catastrophe. Quels que soient les changements institutionnels en cours, il existe, de part et d'autre, une administration (à la Commission européenne et au Conseil) qui devrait être rodée à la gestion de crises. De plus, la fonction en soi du Haut représentant n'est pas nouvelle, elle existe depuis 10 ans. Celle de commissaire européen naux relations extérieures. C'est la fusion des deux fonctions (commissaire européen et Haut représentant qui est nouvelle. Et encore ! Elle est prévue depuis 6 ans. Il est étonnant que personne n'ait réfléchi, au niveau stratégique, non administratif, sur les nécessités qu'emportait cette fusion...

(**) Décision qui ressort de la seule initiative de la Haute représentante et nécessite une approbation - à la majorité qualifiée seulement et non pas à l'unanimité - par les Ministres. Ce genre de procédure peut se régler soit par écrit, soit par un conseil extraordinaire : il y en avait un, lundi dernier, des Ministres du Développement : ils avaient la capacité d'en décider.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “Catherine Ashton avait-elle raison de ne pas être à Haïti ?

  • Marie THUREAU

    Je suis assz choquée que vous puissiez donner raison à Lady Ashton, shopping ou pas !

    Je me permets de vous renvoyer à la chronique de Sylvie Goulard : “Madame Ashton avez-vous du coeur ?” sur son site : http://sylvie-goulard.eu/index.php/content/40-accueilcontent/247-25janv2010 .

    Quand l’Union Européenne a enfin une voix responsable des affaires étrangères, on aimerait un peu d’humanité !

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