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Barroso grille la politesse à Lady Ashton. Pavane pour une absence ?

(BRUXELLES2, commentaire) Le président de la Commission européenne, José-Manuel Barroso, a (encore une fois) grillé la politesse à Lady Ashton, la Haute représentante, en recevant le Premier ministre du Niger et en annonçant le lancement de la mission PeSDC au Niger (lire : Barroso confirme le lancement de la mission au Niger fin juillet).

Si ce n'est pas très délicat dans le domaine du respect des compétences des différentes institutions — Catherine Ashton étant certes vice-présidente de la Commission chargée des relations extérieures mais aussi Haute représentante et en charge spécifiquement des missions de gestion de crises — on ne saurait totalement lui en faire grief. Pour au moins deux (bonnes) raisons...

Une marque de désintérêt ?

Mises à part quelques personnes, cette petite gué-guerre des institutions n'a qu'une importance toute relative et ne dépasse pas vraiment le carré autour des rues du rond-point Schuman. L'important n'est-il pas, en fait, d'avoir une voix européenne qui s'exprime, qui concrétise publiquement ce qui se prépare en coulisses ? N'est-il pas nécessaire d'avoir, à un moment donné, une voix politique qui s'exprime sur les sujets européens de gestion de crises ? N'est-ce pas d'ailleurs dans cet esprit qu'a été rédigé le Traité de Lisbonne. On pourrait ainsi dire : peu importe qui parle, du moment qu'il parle...

Ensuite, c'est maintenant un fait avéré, la Haute représentante de l'UE reste toujours particulièrement absente du terrain de la gestion de crises, particulièrement au plan militaire. Comme si elle avait un peu honte de ce pan tout entier de la politique européenne extérieure, la Haute représentante préfère les relations diplomatiques, la politique étrangère, qui se déroule dans les salons feutrés, à la gestion de crises qui oblige à s'exposer davantage et s'impliquer. Compter les marques de désintérêt public depuis sa nomination serait particulièrement fastidieux. Et je ne vous infligerai pas un tel pensum… 🙂 Ce désintérêt est attesté par la pratique de tous les jours : certains dossiers traînent au cabinet, l'impulsion politique manque souvent, la gestion de crises se conçoit que très, très lentement... Un peu à contrecoeur !

Un manque de visibilité particulièrement entretenu

Ainsi le lancement des futures missions - Eucap Nestor dans la Corne de l'Afrique, Niger, Sud Soudan - ne fait-il toujours l'objet que de la publicité et communication minimales. Sur la quinzaine de terrains où sont déployées les missions PeSDC, les informations remontent bien du terrain au siège (j'en suis le témoin) mais sont distillées au compte-goutte à la presse basée à Bruxelles. Les visites sur le terrain pour la presse européenne sont limitées au strict minimum (zéro en fait).

Quand ils passent à Bruxelles, les différents responsables de mission sont soigneusement ignorés de la presse non parce qu'elle le veut mais parce qu'on ne met pas la presse au courant. Et quand celle-ci souhaite des rencontres, les prétextes sont variables — problème d'agenda (l'excuse à 1 cent !), pas de communication prévue (un peu plus réaliste), ce n'est pas le moment… (Vous pouvez concourir aussi ! 🙂 — mais aboutissent au même. Des briefings sont désormais régulièrement organisés sur différents sujets tenant à la politique étrangère (ce qui est un progrès) mais généralement la presse en est avertie à la dernière minute quand on ne choisit pas d'en oublier la moitié. Ce qui en réduit la portée. Les données techniques - ce qu'on nomme les briefings "amont" - sur tout le travail effectué dans les structures de gestion de crises (planification, préparation, review, modification des mandats...) sont limitées.

En fait, il n'y a pas de politique proactive des différents responsables du SEAE ou du cabinet de la Haute représentante en direction des journalistes. Et c'est ainsi que nombre de journalistes (qui ne lisent pas, encore, ce blog 🙂 ) ont appris par la voie de J.-M. Barroso le lancement d'une mission au Niger ! Il ne faut pas s'étonner ou s'en offusquer. C'est le résultat d'un ensemble de facteurs

L'anglais langue officielle du SEAE

Dernier élément, qu'on ne peut passer sous silence. Les communiqués de la Haute représentante continuent d'être diffusés à 90% en anglais uniquement. Le français est certes utilisé mais avec un retard de quelques heures, au mieux !, quelques jours sinon, après ; soit largement hors du temps médiatique et politique. Dernier exemple en date, un communiqué sur les violences dans l'est du Congo, diffusé en anglais exclusivement (alors que le français est une langues officielles du Service diplomatique et encore la langue officielle du pays concerné). De fait, les règles européennes, et diplomatiques, sont bafouées régulièrement, officiellement par manque de moyens, en fait par manque de discipline et de volonté. La plupart des agents ayant l'obligation de parler français (et le parlant !)...

Précisons que la Haute représentante ne parle toujours qu'une seule langue : l'anglais. Cela peut paraître un détail. Mais c'est largement handicapant quand il s'agit de discuter avec des homologues, notamment en Afrique. Au contraire de certains commissaires qui ont fait un effort notable. Je citerai ainsi Olli Rehn, le commissaire à l'Economie, qui ne parlait que quelques mots de français il y a quelques années, mais a tenu à parler en français tout au long de son dernier point presse avec son homologue français, Pierre Moscovici. Je pourrais aussi citer le nom de Andris Piebalgs, le commissaire (letton) au développement, que j'ai surpris tout récemment en train de converser en français avec un alter ego africain. Il parait donc incompréhensible que ce qui est possible pour un Finlandais ou un Letton est impossible pour une Britannique Yes you can !

Des rencontres, rares, avec la presse

De façon générale, d'ailleurs, que ce soit en anglais ou en français, Lady Ashton reste toujours parcimonieuse de ses interventions dans les médias. Elle privilégie quelques médias "amis" comme la BBC ou Euronews. Mais se garde bien de s'exposer ailleurs. On a l'impression qu'elle se méfie de la presse. Ereintée dans plusieurs articles de presse et, régulièrement encore, on peut la comprendre... Mais la méfiance, la rancune, ne sont pas bonnes conseillères. Et ce n'est pas en jouant la citadelle assiégée que les relations vont s'améliorer... Au contraire ! Celle qui est aussi la vice-présidente de la Commission "descend" ainsi très rarement en salle de presse sur le podium et, encore moins, de façon impromptue alors que l'actualité de ces derniers mois pourrait l'exiger. C'est sans doute une mesure d'économie... pour son agenda (**). Mais aussi un moyen d'éviter tout dialogue en direct ou une question particulièrement incisive ou critique.

C'est dommage ! Car pour l'avoir entendu, à une ou l'autre reprise, notamment au Parlement européen, la Haute représentante semble à l'aise dans les joutes oratoires, au moins au niveau parlementaire... En fait, cette absence n'est pas préjudiciable vraiment à la presse - qui a d'autres sources d'information ! C'est surtout une sérieuse perte de puissance d'action pour la politique étrangère de l'Union européenne - la parole étant un élément-clé intrinsèquement lié à la diplomatie.

Débat entre experts

La visibilité (ou le manque de visibilité) des missions de la PeSDC a fait l'objet d'un débat récemment au CivCom, le comité qui regroupe les experts des 27 sur la gestion civile de crises. Il faudrait préciser que pour avoir une "visibilité", il faudrait non seulement le pouvoir mais le vouloir. L'absence de visibilité paraît aujourd'hui bel et bien la conséquence de ce qu'il faut bien appeler une "politique de non-communication". Se plaindre ensuite du désintérêt de la presse, c'est comme le commerçant qui se plaint de n'avoir pas de client mais ne lève son rideau que juste 5 minutes dans la journée... à l'heure de la sieste! Le manque de visibilité n'est plus alors une question de manque de personnel ou de compétences, il semble bien qu'au-delà, il y ait un manque de volonté politique, plus ou moins délibéré...

(*) Un argument tellement usé qu'il n'est plus crédible. Dernier exemple, la Haute représentante n'a ainsi pas profité de son séjour à Chicago au sommet de l'OTAN en mai, où sa présence était surtout symbolique, pour profiter de l'audience de plus d'un millier de journalistes rassemblés à cette occasion, pour faire un petit briefing/conférence, que cela soit de façon officielle ou officieuse, en grand ou petit cercle. Cela aurait été utile, notamment quand on parle d'Afghanistan, où l'engagement européen - que ce soit pour la mission de police ou au niveau financier - n'est pas négligeable. Pudeur ? Son alter ego à l'OTAN n'a pas ce préjugé et a profité des réunions de l'UE pour tenir une conférence de presse et donner quelques interviews. Plutôt intelligent!

NB : La pavane est une musique au rythme lent qui précède la "gaillarde" (selon ce qu'en dit le dictionnaire) ...

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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