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Piraterie maritimeReportage

Thoniers basques aux Seychelles: “Nous sommes des pêcheurs, pas des militaires”

(BRUXELLES2 / A Victoria, Seychelles *) Sous le soleil du port de Victoria, aux Seychelles, le thonier basque d’Inpesca (Bilbao), Txori Aundi, refait son approvisionnement, répare ce qu'il faut à bord... et attend ! Dans quelques jours, arriveront quatre gardes privés de la société britannique Minimal Risk qui embarqueront à bord, avec armes et bagages. Cela devrait permettre au thonier de reprendre la mer, un peu plus sereinement. Chacun, ici, a en mémoire la capture de leurs collègues de l’Alakrana. Tout le monde est soucieux. « Ma famille est vraiment inquiète. Et je leur en dis le minimum pour ne pas les inquiéter » raconte Juan Jesus Suarez, le capitaine du navire, un Galicien de La Coruna.

Les 17 hommes d’équipages — Galiciens et Basques mais aussi Seychellois ou Ghanéens — ne tiennent pas, en effet, à être pris en otages. Embarquer des forces de sécurité, s’il ne garantit pas totalement d’une attaque, rassure un peu les hommes d’équipage et permet de limiter les risques. Ce qui n'était pas possible auparavant. La loi des Seychelles vient d’être modifiée pour permettre aux pêcheurs d’emmener des gardes, avec armes et bagages. Le Txori Aundi, qui bat pavillon des Seychelles, comme quelques thoniers espagnols, profitera donc avec ses collègues, battant pavillon espagnol, de cette nouvelle disposition.

« C’est bien, c’est une première étape » affirme Juan Jesus. « Jusqu’ici nous n’avons rien. Aucune protection du personnel. On regardait souvent le radar pour observer tous les mouvements. On ne stoppait pas si on voyait un problème. On éteignait les lumières ». Et en cas de tentative d’attaque, il n'y avait qu'un seul moyen : « les lances à incendie ». Bien peu pour effrayer les pirates. Mais davantage, ils ne pouvaient pas faire.

« Je ne suis pas un militaire. Je suis un pêcheur » explique un des membres de l’équipage. Les marins n’ont d’ailleurs pas subi d’entraînement ou de formation spécifique pour savoir que faire en cas d’attaque de pirates, contrairement à leurs homologues français qui suivent désormais régulièrement une formation soit à bord des bateaux, soit avant de partir.

Même s’ils récusent toute « jalousie », les marins du Txori Aundi envient le système français. Les jours d’arrêts forcés, la crainte de se voir attaquer par les pirates leur font subir une perte sèche. « Nous faisons seulement la moitié du tonnage habituel » me confirme leur capitaine. Juste sur l’emplacement d’à côté, les thoniers français, Le Drennec et le Glénan, sont en effet déjà repartis en mer, avec à bord 4 ou 5 militaires – des commandos marine spécialement entraînés.

Leur présence à bord a changé la donne. « Nous faisons entre 90 et 95% de notre tonnage habituel » avoue un des responsables de la pêche française. « Sans cette sécurité, nous ne pourrions plus aller en mer » estime le capitaine du Drennec. « Je me sens un plus serein. Nous sommes mieux protégés » explique Yvan Dizet, le capitaine du Glénan. Le dispositif français de militaires à bord des navires de pêche va être pérennisé a déclaré le ministre de la Défense français, Hervé Morin, de passage dans la région. Le contrat qui existait entre l’armée et les pêcheurs devait se terminer fin octobre. « Il sera renouvelé » a promis le ministre « au moins jusqu’à décembre. Nous allons continuer tant que nous ne pourrons pas trouver d’autres moyens de sécuriser les opérateurs. C’est le devoir de la République de protéger ses citoyens ».

Interrogé par mes soins, le ministre français a cependant refusé la possibilité d’étendre ce dispositif aux navires espagnols ou de l’incorporer à Atalanta. « C’est un dispositif purement national. Les militaires ne peuvent protéger que les navires français. Et je n’ai pas eu de demande en ce sens de Carme Chacon » précise-t-il.

Pour Jesus Fernandez, le second du Txori Aundi, ce système est ce qu’il faudrait avoir. « Ils ont eu deux attaques, et les ont repoussées. C’est un bon système. Ça l’a prouvé. Ce n’est pas un problème que les Français aient une protection. C’est un problème pour nous de ne pas en avoir. Le gouvernement n’assure pas suffisamment notre protection » ajoute son capitaine Juan Jesus Suarez.

La sécurité privée n’est cependant qu’un pis aller. Elle pose même certaines, non résolues comme celle de la responsabilité. « Qui est responsable en cas d’incident ?» s’interroge le capitaine. « C’est un problème. Au moins avec les militaires c’est plus clair  ». Car, en mer, le principe est que le capitaine reste « maître après Dieu » et donc responsable de tout ce qui se produit sur son navire ou à cause de son navire. D’ailleurs, la loi seychelloise prévoit qu’à l’arrivée au port, c’est le capitaine du navire qui doit garder toutes ces armes. Même s’ils récusent toute colère, les marins du Txori Aundi ne cachent donc pas leur mécontentement envers le gouvernement espagnol qui ne fait pas beaucoup. Pour eux, derrière la raison légale invoquée par le gouvernement espagnol, il y a surtout des motifs plus économiques : envoyer des militaires espagnols coûte cher.

A plus de 7000 kms de Madrid, amarrés au port de Mahé, les hommes se sentent surtout abandonnés. « Notre ministre n’est même pas venue nous voir… » lâche un marin espagnol, dépité…

(Nicolas Gros-Verheyde)

(*) Entretien réalisé en face à face. Texte publié dans El Mundo ce matin, grâce à la disponibilité et la traduction de mes collègues espagnols à Madrid.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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