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La Commission mise sur les gardes privés mais refuse l’auto-régulation

Des députés du PDL très spectacles avec leurs beaux tee-shirt mais avec des arguments assez limités (crédit : Parlement européen)

(BRUXELLES2) C'est le commissaire Piebalgs qui était de permanence au Parlement européen, mercredi, faisant face aux eurodéputés sur la piraterie maritime. Pour tout dire, il n'avait pas le rôle facile. La question de l'emprisonnement des militaires italiens en Inde avait fait monté la tension d'un cran. Et, tout d'un coup, plusieurs députés découvraient le phénomène de la piraterie. Ils sont ainsi parfois tombés à bras raccourcis sur la Haute représentante de l'UE, coupable de tous les maux, à commencer de ne pas être là, ou sur l'opération militaire Atalanta. Avec une certaine mauvaise foi et ignorance des données basiques, je dois dire. Certains députés citaient des chiffres fantaisistes de marins retenus en otages par les pirates : 600 pour l'un ! (les fiches préparées devaient dater quelque peu). D'autres pointaient du doigt les militaires comme une cause du dérapage, confondant les causes et les remèdes.  Etc...

La découverte de la solidarité

Les députés Italiens ont été particulièrement actifs lors du débat. Certains (ceux du PDL, le parti de la liberté de Berlusconi) portaient un tee shirt blanc "soutien à nos pirates". Même la présidente de séance, Roberta Angelilli, portait un tee shirt de soutien aux deux militaires retenus en otage, avec l'inscription  "a fianco de maro" (aux cotés de Maro) ; ce qui est plutôt rare d'ordinaire pour une présidence. Il est assez remarquable de voir ces députés réclamer la solidarité européenne, solidarité qu'ils semblent soudain découvrir : je n'ai pas souvenir d'avoir vu un engagement majeur de l'Italie, sous Berlusconi, dans l'opération européenne Eunavfor Atalanta, où les navires italiens ont été plutôt rares.

Le commissaire européen au Développement, Andris Piebalgs, qui s'exprimait au nom de la Haute représentante, retenue à Bruxelles, s'est voulu rassurant sur le sort des militaires emprisonnés en Inde : « Dès le début nous avons été en contact constant avec le gouvernement italien à ce sujet. Suite à la demande de l'Italie pour aider, l'UE a soulevé la question avec les autorités indiennes, à la fois à Bruxelles et à New Delhi, en encourageant un résultat positif dès que possible. » a-t-il expliqué faisant référence également à la rencontre entre la Haute Représentante Cathy Ashton et le Premier ministre, Mario Monti.

De Correen à Geoffrey...

Le débat a parfois été surréaliste. Passons sur l'eurodéputée néerlandaise Coreen Wortmann-Kool (PPE) qui veut qu'on « aille frapper les pirates à terre » et « demande à Commission d'avoir recours à des forces spéciales » ! Vous imaginez les hélicoptères des forces spéciales décoller du toit du Berlaymont, direction la Somalie. 🙂 Je ne résiste pas non plus à l'envie de citer ce bon Geoffrey Van Orden (tory britannique) qui, fidèle à ses attachements, a enjoint les Européens à s'occuper du « civil » uniquement. « L'UE a des ambitions militaires. Mais elle devrait laisser faire les professionnels, c'est-à-dire l'Otan, ceux qui savent » a-t-il lâché, précisant que « 80% des pirates arrêtés l'avaient été par l'OTAN ». La délicatesse, la justesse, l'exactitude même... Un débat sur l'Europe, sans Geoffrey, ne sera jamais un débat. 🙂 Michael Gahler (CDU-PPE/Allemagne) lui a répliqué : qu'il est « mieux que l'UE reste engagée. Des pays comme l'Inde, la Chine, la Russie travaillent mieux avec l'UE que l'Otan, c'est un fait ! ».

Des questions toujours sans réponse

Plus sérieusement, certains eurodéputés ont abordé la question de la protection des navires. Et on retrouve là la dichotomie entre protection militaire et protection privée, avec la même problématique aujourd'hui, soulevée par l'Inde : Quel degré de réponse avoir ? Comment éviter l'escalade ? Comment obtenir un accord international sur la question ? Comment contrôler les sociétés privées ? Comment poursuivre les pirates ? On peut égrener les questions restées sans réponse depuis 4 ans... « Sans aucun doute, des pas significatifs qui ont été franchis » a résumé Georgios Koumoutsakos, député grec de Neo Democratia (PPE). « Mais nous attendons davantage de la Commission européenne. L'Union européenne doit agir de façon davantage efficace et plus cohérente » explique-t-il. « Une menace commune nécessite une réponse commune. C'est aussi une question de volonté politique » a-t-il ajouté.

La position de la Haute représentante : distinguer gardes privés et militaires

« C'est clair », a expliqué Andris Piebalgs, le commissaire européen au Développement, « Nous devons remettre cette question dans le contexte plus large de notre coopération en matière de lutte contre la piraterie. Nous avons besoin de voir quelles leçons nous pouvons tirer pour éviter que ce type d'incidents ne se reproduise. (...) Nous devons faire la distinction dans cette affaire entre les forces de sécurité des États membres protégeant les navires marchands et l'utilisation de sociétés privées de gardes armés à bord des navires commerciaux et même des bateaux de pêche. En raison de l'immensité de la zone maritime, où les pirates somaliens opèrent maintenant, et les ressources navales disponibles pour protéger cette route maritime, qui sont limitées, le secteur n'a pas eu d'autre choix que de se tourner vers les services fournis par le personnel de sécurité armés sous contrat à bord des navires transitant par les zones à haut risque. »

Peu de confiance dans l'auto régulation

Pour le commissaire Piebalgs, « l'Organisation maritime internationale a déjà abordé cette question et a publié des recommandations provisoires. Mais, comme la piraterie ne semble pas trouver une solution à court terme, ce sujet doit être abordé en profondeur. Nous ne sommes pas à l'aise avec l'idée d'auto-régulation de ce nouveau business compte tenu des risques de ce type d'activité, pouvant conduire à l'usage meurtrier de la force. Nous pensons que l'OMI est l'organisme international qui devrait aboutir à l'élaboration de règles plus strictes, et notamment d'un instrument obligatoire. » « L'UE ne trouvera de réponse durable toute seule ».

Une solution qui n'a pas reçu l'aval d'aucun député. « L'OMI est paralysée, il faut prendre plus d'initiative au niveau européen, voila ce que nous en attendons ! » a expliqué Mathieu Grosch (PPE/Cdh, Belgique), résumant l'opinion qui semblait assez consensuelle sur ce point. Face à la « multiplication des sociétés privés. il faut veiller aux abus possibles » précise Nathalie Griesbeck (ALDE/Modem, France) « Qui les contrôle ? Quelles sont leurs prérogatives ? (...) Que proposez vous ? ».

D'autres questions sans réponses

Le commissaire n'a cependant pas répondu à un certain nombre de questions précises des eurodéputés, notamment le manque de moyens de l'opération d'Atalanta : la baisse des navires engagés par les Etats membres est préoccupante. Il faut « revoir le mécanisme de financement de l'opération Atalanta » propose Maria-Eleni Koppa (S&D, Grèce), « renforcer les moyens militaires pour protéger nos marins (...) et mettre un terme à cette impunité généralisée en appliquant la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, sans quoi ATALANTA ne serait qu'un coup d'épée dans l'eau! », souligne Dominique Vlasto (PPE/UMP, France). Il faut un « cadre militaire et juridique pour combattre la piraterie ».

« Les gardes privés ne sont pas une solution face à la piraterie ...tant qu'on ne règle pas la question de la gouvernance » a sermonné Ana Gomes (S&D, Portugal). Il faut travailler directement avec les entités fédérées de Somalie « comme le Puntland. (...) L'UE doit laisser tomber le GFT qui n'a d'existence que par l'Ethiopie ».

Moyens financiers reconduits

Le commissaire a promis de reconduire certaines mesures en cours : outre les 100 millions promis par l'UE pour l'Amisom, l'aide humanitaire et l'aide au développement, des mesures de soutien aux pays de la région sont en cours, avec le déblocage d'environ 40 millions d'euros de soutien supplémentaire « en cours d'examen ». De la même façon, le programme régional de surveillance pour les pays de l'ouest de l'océan Indien - fort de 10 millions d'euros de 2007 à 2011 - « va être renouvelé ». Quant au programme des routes maritimes critiques (7,6 millions €), financé au titre de l'Instrument de stabilité depuis 2009, il permet, entre autres, la mise en œuvre du Code régional de conduite de Djibouti.

Lire également : Le Parlement apostrophe les institutions sur la piraterie : que faites-vous ?

Speech de A. Piebalgs : dans les Docs de B2

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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