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Atalanta va recevoir le mandat de surveiller les côtes somaliennes

The Minister of Defence, Carme Chacon, during her interview with the Commander of Operation Atalanta, Admiral Hudson, during the course of the informal meeting of EU Defence Ministers, which has begun in the capital, Palma de Mallorca. EFE(BRUXELLES2) A Palma de Majorque, la ministre de la Défense espagnole, Carme Chacon, a annoncé qu'un accord s'était fait pour orienter, la mission européenne anti-piraterie EUNAFOR Atalanta, de façon plus offensive.

« Les ministres de la Défense de l'Union européenne ont convenu le mercredi d'élargir les objectifs de l'opération Atalante afin d'y inclure le contrôle des ports somaliens où amarrent les bateaux pirates et la possibilité de « neutraliser » les (bateaux mères) qui permettent aux pirates d'agir à plus de mille kilomètres des côtes. » Et « le contre-amiral Peter Hudson, a fait part de sa disponibilité pour assumer de nouvelles tâches en vue d'intensifier le contrôle et la surveillance des ports et d'exercer le droit d'intervention en haute mer » a expliqué la ministre. Un entretien en bilatérale a réuni les deux responsables (cf. photo - présidence espagnole).

Vrai ou faux ?

On pourrait se demander si cette déclaration n'est pas une communication à usage interne. C'est le cas en partie, ne nous leurrons pas. La question de la lutte contre la piraterie est très sensible politique en Espagne et fait partie des priorités de la présidence (1). Et il ne peut être question pour un Ministre de ne pas atteindre ces priorités. Mais il y aussi un fait : l'Espagne est très engagée depuis le début (avec la France) et un des moteurs de l'opération. Une analyse si politique serait donc très réductrice. Car il y a des évolutions qui sont bien réelles. J'ai fait le point lors de mon séjour à Palma et après, avec plusieurs interlocuteurs. En voici une petite synthèse.

Qu'est-ce qui change réellement ?

Sur la zone de couverture

On se souvient que l'Espagne, depuis le début, a milité pour une extension de l'opération Atalanta dans sa zone géographique estimant tout aussi important d'être dans le bassin somalien que dans le Golfe d'Aden. Un intérêt national bien compris, particulièrement pour défendre la pêche espagnole présente entre Seychelles et Somalie. En fait, d'après plusieurs discussions avec des officiels, il ne semble pas y avoir de partage des zones au sens strict comme l'a laissé sous-entendre la ministre espagnole : l'OTAN dans le Golfe d'Aden, Atalanta dans le bassin somalien. Simplement, l'opération européenne est la seule pour l'instant à être présente en permanence dans le bassin somalien. Et elle dispose maintenant d'une capacité de surveillance aérienne non négligeable (lire ici). Tandis que l'essentiel des moyens des autres forces multinationales (CTF 151, Otan, Chine, Japon, Russie...) sont concentrées dans le Golfe d'Aden pour la surveillance du corridor de circulation internationale (IRTC), corridor vital pour le transport maritime mondial. L'objectif serait d'avoir un peu plus de moyens dans le bassin somalien.

Sur la destruction des bateaux-mères

La "neutralisation" des bateaux mères n'est pas une nouveauté dans les priorités d'Atalanta. Déjà, quand il dressait le bilan de son action, en mai 2009, avant son départ, le Rear Admiral Phil Jones qui commandait alors l'opération, expliquait que les bateaux-mères devaient être un des axes d'action futurs, « c'est le pivot de l'activité » (2). Et début février 2010, pour sa conférence de "rentrée", le Rear Admiral Hudson confirmait que découvrir et neutraliser les bateaux mères était son objectif premier (3).

Sur le blocus des ports

L'idée de blocage des ports, évoquée au moment de la capture du thônier espagnol Alakrana, par plusieurs responsables politiques espagnols (4) ne figure plus parmi les évolutions possibles. On parle de "surveillance" de ports, pas de blocus. Un dispositif qui n'était, de toute façon, pas possible à la fois pour des raisons internationales (c'est un acte de guerre) et pratiques (5).

Sur la surveillance des ports.

La mission européenne EUNAVFOR n'a pas attendu les dernières évolutions pour avoir une attitude plus préventive. Mission avait ainsi été donnée à tout navire de l'opération Atalanta quand ils remontent le long des côtes somaliennes de surveiller tout mouvement suspect. Les frégates françaises La Fayette et belge Louise-Marie ont ainsi procédé (6). On se souvient de la frégate norvégienne Fridtjof Nansen engagée à deux reprises dans des tirs avec des "pêcheurs" somaliens (7). L'opération Atalanta avait vu dans la décision prolongeant son mandat, celui-ci légèrement étendu à la "mission de surveillance de la pêche illégale" (8). « Rien de vraiment nouveau au plan opérationnel » effectivement m'a confirmé un officier. « Nous adoptons notre tactique au fur-et-à-mesure des évolutions de la situation. Les pirates changent régulièrement et s'adaptent aussi à nos changements de tactique. Nous devons évoluer en permanence ». On est là dans le classique "jeu" du chat et de la souris entre le policier et le voleur.

Où est la(les) nouveauté(s) alors ?

Consensus politique et moyens renforcés

Désormais il y a un consensus politique pour officialiser cette action de surveillance des ports — qui va donc désormais devenir plus systématique et ... plus officielle. Une décision en ce sens devrait ainsi prise au conseil des Affaires étrangères de mars (modification du concept de gestion de crise). Moment qui coïncide avec la fin de la mousson d'hiver et au changement de commandement (le Suédois prend le relais de l'Italien le 14 avril). Il y a, aussi, un engagement des Etats membres participants à  l'opération — particulièrement de l'Espagne — de donner des moyens supplémentaires, pour mener à bien ces nouvelles tâches. Et c'est sans doute tout aussi important comme me l'a confirmé un gradé de la marine : « Il ne s'agit pas vraiment d'une volonté d'agir mais de moyens pour le faire ». Il s'agit aussi d'être préparé face à un retour offensif des pirates. La saison actuelle de la mousson a expliqué le "relatif" calme des offensives pirates ces dernières semaines.

Prolongation pour 2011 au moins

Les Ministres sont aussi tombés d'accord sur la nécessité de prolonger la mission Atalanta au-delà de 2010. Au moins d'un an (voire de deux ans mais cela n'est pas vraiment acquis). Lors de la conférence de presse, la ministre espagnole de la Défense, Carme Chacón, a signalé que « plusieurs pays ont exprimé leur volonté de contribuer par des moyens maritimes et aériens au renforcement de l'opération Atalante au-delà de 2010 ». La décision officielle pourrait être prise au Conseil "Jumbo" (Affaires étrangères / Défense) d'avril. Ce qui faciliterait la planification.

De nouveaux pays pour juger les pirates

Chacun convient que c'est là que se situe une majeure partie du problème aujourd'hui (9). Outre les deux accords avec le Kenya et les Seychelles, l'UE veut mettre le paquet sur  trois pays qui seraient susceptibles de signer un accord : l'Ile Maurice, la Tanzanie, l'Afrique du Sud. Quant à l'idée d'une "cour régionale" (ou plutôt d'une section spécialisée d'un tribunal consacrée à la piraterie), elle fait son chemin et sa localisation serait située plutôt au Kenya, pays partenaire dès le premier jour pour le jugement des pirates, qu'aux Seychelles (10) m'a confirmé un expert du dossier.

(1) Lire : Présidence espagnole 2010: priorités intéressantes pour la défense…...
(2) Lire : Phil Jones, chef d’Atalanta : « nous devons revoir nos tactiques » (mai 2009)
(3) Lire : L'opération Atalanta prolongée pour 2 ans ? (février 2010)
(4) Lire : L'opération Atalanta... pas assez efficace pour les Espagnols (novembre 2009)
(5) Lire : Le blocage des ports des pirates (voulu par les Espagnols): « une connerie »! (novembre 2009)
(6) Lire : Le blocage des ports pirates: « Nous avons déjà essayé ; ça n’a pas marché ! »
(7) Lire : Les Norvégiens essuient à nouveau des tirs près des cotes somaliennes
(8) Lire : La prolongation d'Atalanta formalisée en décembre (novembre 2009)
(9) Lire : Mieux traduire en justice les pirates, réflexion entamée au COPS
(10) Lire : La Cour régionale "anti-pirates" aux Seychelles, la prison ailleurs !

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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