B2 Le Quotidien de l'Europe géopolitique. Actualité. Dossiers. Réflexions. Reportages

Analyse BlogMissions OpérationsPiraterie maritime

Atalanta Six mois après, premier bilan (5). les évolutions futures

(BRUXELLES2) Passées les réticences du début, et les difficultés en cours, aucun pays européen n’est désormais réticent à la poursuite ou l’approfondissement de l’opération. Plusieurs pistes d’évolutions futures, dont les grands principes sont acquis, sont ainsi évoquées : l’extension géographique de l’opération aux Seychelles, l’évolution des tactiques, la prolongation de l’opération, une solution à moyen et long terme (la formation de l’armée somalienne et la stabilisation de la Somalie).

Extension aux Seychelles

Les 27 ont donné leur feu vert, confirmé le 19 mai lors d’une réunion du Comité politique et de sécurité (COPS), à l’extension de la mission vers le sud-est de la zone de l'Océan indien, autour des Seychelles (une autre option visant à une extension globale à l’Océan indien a été repoussé). Cela répond à une demande espagnole, soutenue par la Grèce et la France, fondée surtout sur la nécessité de protéger les pêcheurs thoniers (espagnols et français essentiellement) qui ont vu leur zone de pêche réduite. Cette extension oblige à revoir le plan d’opération (OpPlan), le positionnement et le nombre des forces requises, et, surtout les tactiques, pour contrer la piraterie, sur une zone qui reste vaste. Elle oblige également à signer plusieurs accords avec les Seychelles pour : la pénétration dans les eaux territoriales et l’usage des ports, l’accueil des forces (SOFA), l’éventuel transfert des pirates arrêtés. Des accords qui pourraient être accompagnés d’un soutien financier et matériel à l’Archipel (comme pour le Kenya).

Evolution des tactiques

L’extension de la zone oblige aussi à « revoir les tactiques. On ne peut « pas utiliser les mêmes moyens dans les Seychelles que pour le Golfe d’Aden » a confirmé le premier commandant de l’opération, Philip Jones (1). Des « pirates peuvent utiliser des bases plus isolées dans la région ». Cette nouvelle tactique pourrait ainsi comprendre une action plus précise vers les bateaux mères (repérage, neutralisation, arrestation), en s’aidant davantage de moyens aériens de détection (satellites, avions de patrouille maritimes…) et de renseignement.

Accords avec les pays tiers

Plusieurs séries d’accords sont en cours avec les États tiers. D’une part, pour participer à l’opération, en matériels ou en hommes (Suisse, Croatie, Ukraine…). D’autre part, pour permettre le jugement des pirates arrêtés (Oman, Tanzanie, Seychelles…) ou faciliter leur transfert (Djibouti) vers d’autres États. Des discussions sont régulièrement en cours, notamment avec l’OTAN et la coalition américaine CTF-151, afin de coordonner les opérations.

  • NB : l'accord avec les Seychelles (SOFA et juridictions) est en bonne voie, ainsi que l'a confirmé le ministre des Transports de l'archipel lors d'une rencontre avec Javier Solana, le diplomate en chef de l'Union.

Prolongation de l'opération

Les responsables de l’UE ont annoncé leur intention, lors de la réunion informelle de Prague en mars dernier, de prolonger cette mission, au-delà de son année initiale. "Toutes les interventions des ministres à ce sujet montrent qu'ils sont plutôt enclins à continuer" a précisé, Javier Solana. Le Royaume-Uni a proposé de continuer à utiliser le QG de Northwood. Et plusieurs États ont indiqué être prêts à contribuer à l’opération. Une nouvelle conférence de génération de force pourrait démarrer en septembre.

Stabilisation de la Somalie

Lors d’une conférence des donateurs, réunie à Bruxelles le 23 avril, la communauté internationale a promis de consacrer 213 millions de dollars, soit 165 millions d’euros, pour soutenir la mission de maintien de la paix de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et la constitution d’une force de police somalienne. Soit un tiers de plus que ce qui était demandé par les Nations-unies initialement. Plus de la moitié de la somme proviendra de l’UE. Le commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire, Louis Michel, a confirmé que 72 millions d’euros allaient être débloqués, au titre du budget communautaire : 60 millions consacrés à l’AMISOM et 12 millions pour les forces de police (une année de formation et de salaires pour les 10 000 policiers somaliens). Une somme à laquelle il faut ajouter environ 15 millions d’euros des États membres de l’UE (Espagne 6 millions d’euros, Italie 4 millions, Pays-Bas 1,4 millions, Belgique 500 000 euros,…). En outre, la Commission européenne soutient la Somalie à hauteur de 18 millions d’euros, au titre du 10e Fonds Européen pour le Développement (FED) pour l’Etat de droit, et de 48 millions d’euros au titre de l’aide humanitaire (financée par ECHO).

Nouvelle initiative PESD

Sur initiative française, présentée le 18 mai lors du Conseil des Ministres de la Défense de l'UE, les services du Conseil ont commencé à étudier l’hypothèse d’une mission de la PESD visant à soutenir le processus de réforme des forces de sécurité somaliennes (SSR). Il s'agit, à terme, de permettre la mise en place d'une force "robuste", d'environ 6.000 hommes. La France s'était engagée - lors de la conférence de la communauté internationale - à former 500 hommes (un bataillon), dès septembre (2). Une formation courte (six semaines) qui serait menée, en s'appuyant sur les forces françaises basées à Djibouti (FFDJ). Les pays arabes se sont aussi engagés à financer les salaires directement versés au gouvernement somalien (3 millions $ par mois sur six mois). Tandis que d’autres pays (Egypte) fournissent des matériels (uniformes…).

L’objectif est de transformer cette initiative bilatérale en une opération européenne. Ce qu'on appelle une mission SSR (réforme des forces de sécurité). Le format serait légèrement différent de la mission SSR au Congo ou la future mission « Althea II » en Bosnie-Herzégovine. Mais l'objectif resterait le même : former une armée moderne, efficace et démocratique.

Les soldats seraient formés non pas en Somalie – à cause du danger - mais dans des bases à l’étranger : Djibouti ou Burundi (où l’ONU a une base de formation) sont communément cités. En quelque sorte, une mission "off-shore"
NB : cette opération devrait connaître un premier débouché officiel d'ici le mois de juillet d'après des diplomates européens.

Autres projets. D’autres idées ont été développées pour contrer la piraterie, notamment de soutenir la mise en place de centres anti-piraterie et renforcer les gardes-côtes des pays voisins (Yemen, Djibouti…). Il s’agit aussi de renforcer la formation des personnels navigants des navires marchands. Voire de placer des hommes armés (privés) à bord de ces navires. Une solution qui laisse dubitatif le monde maritime. Doute partagé par les responsables d’Atalanta. « Ce serait un élément d’escalade de la violence. Et ce n’est pas une solution face aux pirates » a expliqué récemment Phil Jones, le premier commandant d’opération.

(NGV)

(1) Phil Jones, chef d'Atalanta : "nous devons revoir nos tactiques

(2) Somalie : la France va former 500 militaires somaliens à Djibouti

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Commentaires fermés.

s2Member®