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Transfert des pirates aux Seychelles, les conditions et modalités (exclusif)



(BRUXELLES2) La rédaction d'un accord complet sur le transfert des pirates entre l'UE et le gouvernement Seychelles pose encore certaines questions qui mettront quelques temps à être résolues. Or la saison des pirates a repris.

(photo : plage des barbarons - © NGV)

L'augmentation de l'aide financière et logistique de l'UE, notamment, est discutée. L'UE a accordé 800.000 euros. Mais les Seychelles voudraient plus. L'archipel n'a, en effet, qu'une seule prison de 300 places, dont 12 seraient réservées à des personnes suspectes d'actes de piraterie remises par les autorités internationales. Ce qui est bien peu. Il faudrait ainsi agrandir la prison ou en construire une autre. Les Seychelles souhaiteraient ainsi que les Européens (re)mettent la main au porte-monnaie. Le ministre français de la Défense, Hervé Morin, de passage dans le pays, dimanche 18 octobre, s'est engagé à soutenir cette démarche.

Quelques craintes également

La grande crainte des Seychellois est aussi de se voir débordés par un afflux de pirates de tout horizon et, surtout, de devoir leur offrir l'asile à leur libération (après leur peine ou en cas de non-culpabilité), alors que l'ile n'a que peu d'habitants (83.000 environ). Précisons que l'archipel est dirigé par un gouvernement "révolutionnaire" tempéré. Le SPPF - front progressiste du peuple seychellois - est au pouvoir depuis 1977. Et les responsables politiques, même s'ils ne le disent pas publiquement, redoutent un certain "entrisme" des Occidentaux et veulent maintenir leur indépendance, en n'apparaissant pas trop liés à un camp. L'Inde, les Etats-Unis sont aussi très présents dans l'île. 

Montage juridique à trois niveaux

Pour permettre une application rapide du transfert des pirates aux Seychelles, on a donc trouvé une solution provisoire. On a recouru à la technique de "l'échange de lettres" - couramment utilisé en matière diplomatique pour aller vite, par exemple au Tchad au début d'EUFOR - accompagné d'une "déclaration" de l'UE pour rappeler quelques principes. Une décision du Conseil de l'UE donnera une valeur juridique au sein de l'Union européenne, à tout ce dispositif. En outre, un compendium intitulé "lignes directrices régissant le transfert, aux Seychelles, des personnes suspectées d'actes de piraterie ou de vols à main armée ainsi que de leurs biens saisis" a été établi par l'Attorney général des Seychelles afin que le transfert éventuel de personnes suspectées d'actes de piraterie et de vol à main armée se déroule conformément à la législation des Seychelles (document également approuvé sur le plan des principes par l'UE). Il devrait être distribué aux différents éléments (bateaux, avions, équipes embarquées...) évoluant dans la zone.

Les conditions posées par les Seychellois et acceptées par l'UE

Condition géographique

Le transfert sur le territoire est limitée à des conditions géographiques aux personnes :
- capturées « au cours de ses opérations menées dans la zone économique exclusive et les eaux territoriales, archipélagiques ou intérieures de la République des Seychelles ».
- capturées, au-delà de ces limites, quand elles ont attaqué « des navires sous pavillon des Seychelles et des citoyens seychellois se trouvant à bord de navires ne battant pas pavillon des Seychelles ainsi qu'à d'autres circonstances en haute mer, à la discrétion de la République des Seychelles ».

Aide logistique et financière

L'UE apporte aux Seychelles « toute l'aide nécessaire sur le plan des finances, des ressources humaines, de l'équipement, de la logistique et de l'infrastructure pour détenir les personnes suspectées d'actes de piraterie ou de vols à main armée ou déclarées coupables, les prendre en charge pendant leur incarcération, mener les enquêtes, les poursuivre, les juger et les rapatrier. (...)
Au cas où l'Attorney General décide que les éléments de preuve sont insuffisants pour engager des poursuites, l'EUNAVFOR prend totalement en charge, y compris sur le plan financier, le renvoi des pirates et voleurs à main armée présumés dans leur pays d'origine, dans un délai de 10 jours après que l'EUNAVFOR a été informée d'une telle décision »

Procédure

« L'Attorney General dispose d'au moins dix jours à compter de la date du transfert des personnes suspectées d'actes de piraterie ou de vols à main armée pour statuer sur le caractère suffisant des éléments de preuve présentés aux fins de poursuites. (...) Le transfert des personnes suspectées d'actes de piraterie ou de vols à main armée intervient dans toute la mesure du possible conformément aux lignes directrices régissant le transfert, aux Seychelles, des (suspects). »

Respect des droits humains

Le gouvernement assure que « toute personne transférée est traité humainement, n'est pas soumise à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; est détenue dans des locaux adéquats, reçoit une nourriture suffisante, a accès à des soins médicaux et peut observer sa religion ». Le droit à être « jugé dans un délai raisonnable, ou être libérée »; « à voir sa cause entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial »; « à être informée dans une langue qu'elle comprend de la nature de l'accusation », « de disposer du temps (et des moyens pour assurer sa défense », etc. sont inscrits noir sur blanc.

Le rappel de quelques principes par l'UE

1. Droits internationaux : « l'échange de lettres n'a pour but de déroger, ni ne peut être interprété comme dérogeant, aux droits dont jouit une personne transférée en droit national ou international. »

2. Accès aux prisonniers : « des représentants de l'UE et de l'EUNAVFOR auront accès aux personnes transférées à la République des Seychelles dans le cadre de l'échange de lettres aussi longtemps qu'elles y sont maintenues en détention et qu'ils pourront avoir le droit de les interroger. Ils pourront disposer d'un relevé précis de toutes les personnes transférées, notamment un dossier concernant les biens saisis, l'état de santé de ces personnes, la localisation de leurs lieux de détention, les accusations portées contre elles et toutes les décisions importantes prises dans le cadre des poursuites engagées contre elles et de leur procès. »

3. Témoins, preuves et procédure : « L'EUNAVFOR est disposée à assister en temps voulu les Seychelles en faisant comparaître des témoins de l'EUNAVFOR et en communiquant les éléments de preuve pertinents. Dans ce but, les Seychelles devraient notifier à l'EUNAVFOR leur intention d'ouvrir une procédure pénale contre toute personne transférée, ainsi que le calendrier prévu pour la communication des éléments de preuve et les auditions de témoins. » (*)

4. Droit de visite des ONGs. « L'UE prend note du fait qu'à leur demande, les agences humanitaires nationales et internationales pourront également être autorisées à rendre visite aux personnes transférées dans le cadre de l'échange de lettres. »

(*) Cette dernière disposition peut paraître évidente à première vue. Mais les responsables d'EUNAVFOR sont quelque peu échaudés (le mot est faible...) des procédures judiciaires au Kenya, où ils font venir des témoins pour une audience précise qui est annulée ou reportée ensuite, ou au contraire décidée au dernier moment....

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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