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[Exclusif] L’accord de transfert des suspects avec les Seychelles

(B2) Après l'accord SOFA de protection des forces, le texte de l'accord sur le transfert des pirates entre le gouvernement des Seychelles et l'Union européenne semble fin prêt. J'ai pu l'examiner. Il ressemble à celui signé avec le Kenya.

Rappelons que sont englobés par cet accord tous les pays fournissant un contingent à l'EUNAVFOR, qu'ils appartiennent ou non à l'Union européenne (1) (on parle "d'Etat contributeur"). Voici les principaux éléments de l'accord.

Personnes transférées

Normalement ne sont transférés que les « personnes suspectées d'avoir l'intention de commettre, de commettre ou d'avoir commis des actes de piraterie en haute mer ou des vols à main armée dans les eaux territoriales et archipélagiques des Seychelles, et qui sont retenues par l'EUNAVFOR ».

Le principe est que « les Seychelles acceptent, sur demande de l'EUNAVFOR, le transfert de personnes retenues par cette dernière et des biens saisis par elle en rapport avec des vols à main armée (...) et de piraterie, et remettent les personnes et biens concernés à leurs autorités compétentes à des fins d'enquête et de poursuites. »

« L'EUNAVFOR ne transfère de personnes qu'aux autorités répressives compétentes des Seychelles. »

« Les parties traitent les personnes transférées, aussi bien avant qu'après le transfert, humainement et conformément aux obligations internationales en matière de droits de l'homme, dont l'interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, l'interdiction de la détention arbitraire et l'exigence d'un procès équitable. »

Droits reconnus au suspect (coupable)

Ce sont les principes habituellement reconnus par les conventions internationales et européennes des droits de l'homme.

1. « détention dans des locaux adéquats, nourriture suffisante, accès à des soins médicaux et (droit d') observer sa religion.

2. « traduction dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, qui statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si cette détention est illégale.

3. « droit d'être jugée dans un délai raisonnable ou libérée.

4. « droit à (voir) sa cause entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

5. « présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie

6. « droit, en pleine égalité, au moins à :
a) être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de  l'accusation portée contre elle;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et communiquer avec le conseil de son choix; être jugée sans retard excessif;
c) être présente au procès et se défendre elle-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix;
d) si elle n'a pas de défenseur, être informée de son droit d'en avoir un, et, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige, se voir attribuer d'office un défenseur, sans frais, si elle n'a pas les moyens de le rémunérer;
e) examiner ou faire examiner toutes les preuves retenues contre elle, y compris les déclarations sous serment des témoins qui ont procédé à l'arrestation, et obtenir la comparution et l'interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
f) se faire assister gratuitement d'un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience;
g) ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable.

7. « (droit) à faire examiner ou juger en appel par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation,  conformément à la législation des Seychelles. (...)
« Aucune personne transférée ne peut être accusée d'une infraction punissable de la peine de mort, ni condamnée ou soumise à la peine de mort. »

EUNAVFOR est associé de près à la procédure.

« 1. Tout transfert fait l'objet d'un document approprié signé par un représentant de l'EUNAVFOR et par un représentant des autorités répressives compétentes des Seychelles.

2. L'EUNAVFOR fournit aux Seychelles le dossier de rétention de toute personne transférée. Ce dossier contient, dans toute la mesure du possible, des indications concernant l'état de santé de la personne transférée durant sa rétention et précise l'heure de son transfert aux autorités des Seychelles, la raison de sa rétention, l'heure et le lieu du début de sa rétention et toutes les décisions prises concernant sa rétention.

3. Les Seychelles sont chargées de tenir un relevé précis de toutes les personnes transférées et notamment, mais pas exclusivement, de tenir un dossier concernant les biens saisis, l'état de santé de ces personnes, la localisation de leurs lieux de détention, les accusations portées contre elles et toutes les décisions importantes prises dans le cadre des poursuites engagées contre elles et de leur procès.

4. Ces dossiers sont mis à la disposition des représentants de l'UE et de l'EUNAVFOR sur demande adressée par écrit au ministère des affaires étrangères des Seychelles.

5. Les Seychelles notifient à l'EUNAVFOR le lieu de rétention de toute personne transférée dans le cadre du présent accord, toute  détérioration de son état de santé et toute allégation de traitement inapproprié. Des représentants de l'UE et de l'EUNAVFOR ont accès aux personnes transférées dans le cadre du présent accord aussi longtemps qu'elles sont maintenues en détention, et ils ont le droit de les interroger.

6. À leur demande, les agences humanitaires nationales et internationales sont autorisées à rendre visite aux personnes transférées dans le cadre du présent accord.

7. Afin que l'EUNAVFOR soit en mesure d'assister en temps voulu les Seychelles en faisant comparaître des témoins de l'EUNAVFOR et en communiquant les éléments de preuve pertinents, les Seychelles notifient à l'EUNAVFOR leur intention d'ouvrir une procédure pénale contre toute personne transférée, ainsi que le calendrier prévu pour la communication des éléments de preuve et les auditions de témoins.

(...) 8. Les Seychelles ne transfèrent pas une personne transférée à un autre État sans l'accord écrit préalable de l'EUNAVFOR.»

Assistance d'EUNAVFOR

« Dans la limite de ses moyens et capacités, l'EUNAVFOR met tout en oeuvre pour fournir toute l'assistance nécessaire aux Seychelles afin que les personnes transférées fassent l'objet d'une enquête et de poursuites. En particulier, et conformément à la législation applicable de l'État contributeur, l'EUNAVFOR remet les dossiers de rétention, traite toutes les preuves conformément aux exigences des autorités compétentes des Seychelles; s'efforce de produire les témoignages ou les déclarations sous serment des membres du personnel de l'EUNAVFOR concernés; remet tous les biens saisis pertinents en sa possession.»

Entrée en vigueur

L'accord est "appliqué à titre provisoire à partir de la date de sa signature" et "reste en vigueur jusqu'à la fin de l'opération, telle que notifiée par l'EUNAVFOR". (...)

Après l'opération

« Une fois l'opération finie, l'ensemble des droits conférés à l'EUNAVFOR en vertu (de l') accord peuvent être exercés par toute personne ou entité désignée par l'État exerçant la présidence du Conseil de l'Union européenne. Cette personne ou entité désignée peut être entre autres un agent diplomatique ou consulaire de cet État accrédité auprès des Seychelles. Après la fin de l'opération, toutes les notifications a adresser à l'EUNAVFOR en vertu du présent accord sont transmises à l'État exerçant la présidence du Conseil de l'Union européenne.»

Langue

L'accord sera rédigé dans toutes les 22 langues officielles de l'UE (y compris le Danois qui ne participe pas aux opérations de défense mais pas en gaelique !). "Tous les textes faisant également foi." selon le principe en vigueur au niveau de l'Union européenne (mais bonjour en cas de problème d'interprétation).

(Nicolas Gros-Verheyde)


Faiblesse otanienne, force européenne

Sans vouloir faire de peine aux tenants de la force armée ultime, on peut aussi souligner que l'OTAN n'a toujours pas signé d'accord de transfert de pirates, ni la CTF 151. Je ne suis pas tout à fait sûr qu'ils en aient la capacité juridique. Seuls des États individuellement l'ont fait (Etats-Unis particulièrement).

La force de l'UE est justement d'économiser aux Etats membres (et à ceux qui participent à l'opération) de devoir négocier et d'assumer la gestion d'un accord international. C'est une sacrée économie  d'énergie. Et un gage de rapidité de mise en place.


  1. Remarque : Ce qui est, à mon sens, une certaine innovation juridique. Puisqu'un accord international signé par une organisation internationale s'applique ainsi à des pays et des forces armées qui n'en sont pas membres. Comme quoi le "soft power" a tout de même une part de puissance.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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