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Quand l’OTAN duplique l’UE…

Dans le concept stratégique adopté à Lisbonne par le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Alliance Atlantique, figure quelques paragraphes sur la gestion de crises et de conflits. Quelques paragraphes qui, dans une lecture rapide, peuvent paraître bien anodins. C'est intéressant pourrait-on remarquer : l'OTAN semble avoir tiré la leçon, cruelle, de l'Afghanistan que le militaire ne répond pas à tout. Mais, d'un point de vue philosophique ou juridique comme politique ou budgétaire, c'est plus que discutable. Derrière des outils apparemment pratiques, se cache en fait une bataille de pouvoirs très claire, non pas entre deux organisations, mais deux façons de voir le monde.

La gestion de crises : nouveau terrain d'aventure

Ce n'est pas entièrement nouveau, diront les connaisseurs. Effectivement, en 1999, l'OTAN affichait déjà sa volonté de s'impliquer dans la prévention de crises et de gestion des conflits. Mais c'était surtout une « offre » pour soutenir « au cas par cas, et selon ses propres procédures, des opérations de maintien de la paix et autres opérations menées sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies ou sous la responsabilité de l'OSCE » et sous réserve d'acceptation par ses Etats membres. Aujourd'hui, l'OTAN veut s'impliquer plus directement et ajoute une corde à son arc : « la stabilisation et la reconstruction ». « L’OTAN s’engagera, lorsque c’est possible et nécessaire, pour prévenir ou gérer une crise, stabiliser une situation postconflit ou aider à la reconstruction. »

La justification de ce développement est logique  : « les crises et conflits au-delà des frontières de l’OTAN peuvent constituer une menace directe pour la sécurité du territoire et des populations des pays de l’Alliance ». Et le concept entend développer une approche globale bâti sur trois axes. 1° La prévention pour « analyser constamment l’environnement international pour anticiper les crises et, lorsqu’il y a lieu, de prendre des mesures actives visant à les empêcher de se muer en véritables conflits ». 2° Si la prévention des conflits ne réussirait pas, l’OTAN est « prête et apte à gérer les hostilités ». 3° Après la fin d’un conflit, l'Otan est prête et apte à contribuer à la stabilisation et à la reconstruction, en coopération et en consultation étroites, lorsque c’est possible, avec d’autres acteurs internationaux concernés.

L'OTAN se dote d'une structure civilo-militaire

Pour développer cette approche globale, l'OTAN entend développer de nouveaux outils ou renforcer ceux existants.

  • renforcer le « partage du renseignement » au sein de l’OTAN ;
  • développer la « doctrine et les capacités militaires pour les opérations expéditionnaires, y compris pour les opérations de contre insurrection ainsi que de stabilisation et de reconstruction » ;
  • créer une « structure civile de gestion de crise appropriée mais modeste » afin d’interagir plus efficacement avec les partenaires civils. Cette capacité pourra également servir à la « planification, à la conduite et à la coordination des activités civiles » jusqu'à ce que les conditions soient réunies pour le transfert de ces responsabilités et tâches à d'autres acteurs;
  • renforcer la planification civilo-militaire intégrée pour la gamme complète des crises ;
  • développer « notre capacité à former et à faire monter en puissance des forces locales dans des zones de crise » de manière à ce que les autorités locales soient à même, aussi rapidement que possible, de maintenir la sécurité sans assistance internationale ;
  • « identifier et former des spécialistes civils issus des États membres », qui seront mis à disposition en vue d'un déploiement rapide par les Alliés pour des missions précises et qui seront aptes à travailler aux côtés de nos militaires et des spécialistes civils des pays ou institutions partenaires ;
  • « élargir et intensifier les consultations politiques entre les Alliés et avec les partenaires », à la fois sur une base régulière et pendant tous les stades d’une crise – avant, pendant et après.

Commentaires

Une évolution contraire aux règles de droit

On peut se demander si l'OTAN ne se trompe pas de rôle. A savoir celui de l'ONU ou de l'OSCE, voire de l'Union européenne. Et se pose immédiatement un problème : sur quelle légitimité se fonde l'Alliance atlantique pour s'octroyer ainsi certains rôles qui sortent de la sphère purement militaire et entrent dans la sphère purement civile ? On sait ainsi que les principes de transparence et de l'absence de contrôle démocratique et juridique sont totalement absents de sa structure. Mais ne doit-on pas dire "Stop" à une telle évolution qui conduit à placer le "civil" sous l'autorité des militaires et est contraire aux principes de l'Etat de droit.

Des positions empreintes de contradiction

D'un point de vue de positionnement "politique", il est aussi intéressant de voir quelques Etats membres de l'UE / de l'OTAN, particulièrement le Royaume-Uni, refuser de donner à l'UE certaines possibilité et moyens, comme celui de mener des missions civilo-militaires, par exemple des missions de protection civile avec des moyens militaires, mais l'accepter tout naturellement quand c'est l'OTAN qui les organisent. Il est aussi intéressant de voir que certains commentateurs, qui estiment l'Europe "non démocratique" ne se poser aucune question quand c'est au niveau de l'OTAN.

L'OTAN duplique l'UE

D'un point de vue opérationnel, la plupart des outils nouvellement créés sont une simple reproduction des outils déjà en place ou en phase d'être mis en place au niveau de l'Union européenne. Celle-ci a développé la CMPD (la structure civilo-militaire de planification de l'UE), le CPCC (l'Etat-Major civil) et constitue des équipes civiles aptes à répondre aux crises. De la même façon, la prévention des crises et la reconstruction sont des objectifs et une compétence de l'Union européenne qui y consacre une bonne part de ses ressources "politique extérieure et sécurité".

On peut se demander, également, si c'est très rationnel en pleine période de restriction budgétaire de développer exactement les mêmes outils, à deux kilomètres de distance l'un de l'autre. Ou alors la solution est trouvée : l'Europe ne sera plus bonne qu'à sortir son carnet de chèques sans avoir, même son mot à dire sur la gestion de crises, puisque tout sera planifié et géré à l'OTAN. Les parlementaires qui rechignent aujourd'hui à placer les ressources "développement" au service de la politique extérieure de l'Union n'auront bientôt plus que leurs yeux pour pleurer. Et les bons samaritains n'auront plus qu'à dire "Evitons les duplications" pour retirer à l'UE ses dernières capacités d'intervention de gestion de crise.

Une bataille de pouvoirs

Cette répartition des rôles aurait une signification très politique : elle signifierait pour l'Europe une perte d'indépendance aussi importante que si elle perdait sa dissuasion nucléaire. Il faut bien observer, ici, qu'il ne s'agit pas d'une (petite) querelle d'organisations : l'OTAN contre l'UE. Et de savoir qui commande quoi. C'est une discussion très politique du modèle de la construction européenne : une construction centrée sur les préoccupations américaines (car l'OTAN reste une organisation américaine) ou une construction centrée sur ses propres priorités. La capacité de mener aujourd'hui une action de gestion de crises aux cotés des autres atouts de la politique extérieure européenne est un élément de ce pouvoir. C'est bien pour cela que par le Traité de Lisbonne, ils avaient été réunis sous la coupe d'une seule personne. Même si l'Europe n'est pas une puissance très affirmée, elle a de sérieux atouts : en Afrique par exemple, en Méditerranée ou dans le pourtour de la mer noire. Et ses intérêts propres ne sont pas nécessairement ceux de ses alliés. La nécessité de se doter d'outils de "gestion de crises" autonome dépasse donc de petits hiatus budgétaires.

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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