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Un service de renseignement d’ici 2020 : utopie réaliste ?

(BRUXELLES2) Viviane Reding a remis sur la table une vieille idée : mieux faire travailler ensemble les services de renseignement européens. Dans une interview à un journal grec Naftemporiki, publiée lundi, elle milite ainsi en faveur d'un renforcement de la coopération entre services de renseignement en deux temps : négocier un accord de coopération entre les Etats membres, parler d'une voix commune avec la NSA et à terme, créer un service de renseignement européen d'ici 2020 (*).

(crédit : Commission européenne)
(crédit : Commission européenne)

Mettre les pieds dans le plat

Une manière directe courante chez la commissaire luxembourgeoise qui a suscité quelque embarras aujourd'hui au service du porte-parole de la Commission, bien en peine de commenter cette proposition. « C'est une position politique, une idée que la vice-présidente a mis sur la table, qui demanderait à être préciser » a expliqué la porte-parole en chef de la Commission européenne. « Un changement de traité (*) serait indispensable » a complété la porte-parole de la commissaire. Outre que cette position est discutable, la position de Viviane a le mérite de mettre les pieds dans le plat.

Un monte où on partage peu

Certains pourront considérer que son point de vue est irréaliste ou idéaliste. Car le partage de renseignement n'est pas commun dans ce monde. Comme le confiait récemment un responsable d'un service occidental, « Le monde du renseignement est un monde où on partage peu. Et si on partage, on partage à deux. » Mais il reconnaissait également que : « L’évolution technique a fait qu’on partage plus avec plus de partenaires ». La question de créer un service de renseignement européen commun qui ne remplacerait pas les services nationaux mais le compléterait peut donc légitimement se poser à l'heure où la NSA est en activité.

Une perte de valeur

Certains pourront dire, cela existe déjà en partie. C'est vrai. En 2002 avait été créé le centre de situation (SitCen) et une dimension "terrorisme" avait été renforcée après les attentats de Londres et Madrid en 2004. Mais avec la mise en place du Traité de Lisbonne, et le transfert vers le Service diplomatique européen, le SitCen devenu IntCen a vu son ambition et ses moyens baissés. Il ne comprend ainsi plus que deux unités: Analysis et General and external relations. Et le nombre de personnes qui lui a été affectée a diminué. Comble de l'absurdité, le coordinateur de la lutte anti-terroriste est resté de l'autre coté de la rue, dans l'enceinte du Conseil de l'Union européenne, qui représente les Etats membres. Autant dire que la dimension analyse en commun du renseignement a singulièrement perdu de sa valeur.

Un coup de pied dans la fourmilière bienvenu

Ce coup de pied dans la fourmilière est donc bienvenu. En (re)posant la question de la création d'un service européen de renseignement, V. Reding oblige à la réflexion, en même temps qu'à la mise en garde. Avons-nous fait, en tant qu'Européens, tout le travail de prévention nécessaire face à un possible acte terroriste ? N'y a-t-il pas aujourd'hui manière et matière à travailler davantage en commun ? Sur quels plans et comment le faire ? Les structures actuelles sont-elles ou seraient-elles adaptées en cas de nouveau drame type attentats de 2004 ? Toutes ces questions méritent d'être mises sur la table et posées, en même temps que la question de la protection des données des citoyens.

(Maj) Cette intervention suscite quelque scepticisme dans les rangs des spécialistes. Comme me l'a relaté un "proche du dossier", « cela ne marchera pas. Un tel dispositif existe déjà à l’Otan depuis longtemps et plusieurs demandes des représentants nationaux pour relancer cette dynamique, ont été faites. Sans succès. Le renseignement ne se partage pas, sauf entre deux « amis » et moyennant un échange d’info différentes et de valeur égale. »

(*) "What we need is to strengthen Europe in this field, so we can level the playing field with our US partners. I would therefore wish to use this occasion to negotiate an agreement on stronger secret service cooperation among the EU Member States – so that we can speak with a strong common voice to the US. The NSA needs a counterweight. My long-term proposal would therefore be to set up a European Intelligence Service by 2020”

(**) Le changement de traité ne parait pas vraiment indispensable. Car un certain nombre d'actions peuvent être déjà entreprises au titre de diverses dispositions du Traité. Par ailleurs celui-ci prévoit explicitement parmi les tâches de la coopération policière et celle d'Europol la collecte et l'analyse d'informations (art. 87 et 88 Traité)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

Une réflexion sur “Un service de renseignement d’ici 2020 : utopie réaliste ?

  • Il existe déjà dans le Traité de Lisbonne des dispositions très précises en matière de coopération des services des administrations nationales intervenant dans le domaine de la sécurité nationale ! Il s’agit de les mettre en oeuvre par des dispositions opérationnelles appropriées après avoir harmonisé au niveau de l’Union ce que recouvre la notion / fonction de sécurité nationale ! Ce qui aurait dû être fait depuis longtemps eu égard aux responsabilités de la Commission européenne dans les accords internationaux d’investissement (cf. http://www.regards-citoyens.com/article-la-protection-de-la-securite-nationale-dans-les-accords-internationaux-d-investissement-aii-110909452.html)

    Voir à propos des dispositions relatives à la sécurité nationale inscrite dans le Traité de Lisbonne, en particulier, les articles publiés sur le blog http://www.regards-citoyens.com (articles également publiés en 2009 dans un numéro spécial du Bulletin Quotidien Europe): http://www.regards-citoyens.com/article-32884183.html et suivants !

    Par ailleurs, il convient de noter que certaines lois fondamentales et/ou constitutions nationales ‘omettant’ de spécifier la répartition des compétences institutionnelles propres à chaque Etat sur le registre de la sécurité nationale, se limitant à la seule défense nationale, l’inscription dans le Traité de Lisbonne de dispositions ayant trait à la sécurité nationale soulève quelques interrogations de nature constitutionnelle qui ne semblent n’avoir même pas interpellé nos brillants juristes et constitutionnalistes endormis sur leurs lauriers !

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