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H. Morin: « L’Europe de la défense est relancée. Mission accomplie »


A l’issue du Conseil des Ministres de la Défense, qui s’est tenu le 10 novembre, le ministre français qui présidait la réunion, Hervé Morin a commenté les principaux résultats de la réunion. (article paru dans Europolitique)

Quel bilan tirez-vous de ce Conseil ?
La relance de l’Europe de la défense était une des priorités de la présidence. Cette mission est remplie. Lundi, nous avons signé un ensemble de conventions et lettres d’intention, comme jamais on ne l’avait fait auparavant. C’est un progrès important dans le renforcement de nos capacités militaires. Et le Sommet européen de décembre permettra d’entériner ces progrès.

L’Europe de la Défense est en passe de devenir adulte alors ?
Oui. Il faut bien voir que l’Europe de la défense, c’est quelque chose de neuf. A peine dix ans. L’Europe s’est construite sur l’idée de renoncement aux éléments traditionnels de la puissance. Et, depuis l’échec de la Communauté européenne de la défense, elle était peu évoquée dans la bouche des hommes politiques. Pour les Européens convaincus que je suis, on peut estimer que cela ne va pas assez vite. Mais aujourd’hui les Européens ont prouvé leur capacité à mener des opérations autonomes. L’opération Atalante que nous lançons sur la lutte contre la piraterie, au large de la Somalie, le prouve. L’Agence européenne de Défense, créée en 2004, qui avait jusqu’ici un plan de charge limité, va connaître un vrai programme de travail. Nous avançons sur des sujets symboliques comme une flotte commune d’A400M, ou l’Erasmus militaire, un programme de déminage maritime, un réseau de surveillance maritime de l’UE.

A quoi attribuez-vous ces avancées ?
A une vraie volonté retrouvée. Quand deux ou trois pays leaders s’engagent sur un programme, celui-ci trouve sa dynamique et son élan.Quand j’ai fait le tour des capitales depuis un an, avec mes collègues britannique, allemand, espagnol ou polonais, par exemple, j’avais ressenti cette volonté d’agir. Nous avions beaucoup d’accords politiques mais plus de réticences du côté des structures politico-militaires. L’intuition du Président de la république (Nicolas Sarkozy) de ne pas opposer Europe de la défense et Alliance a joué un rôle majeur. Cela a provoqué d’autres évolutions. Tant que les Européens voyaient dans la PESD un possible affaiblissement de l’Alliance, l’Europe de la Défense ne pouvait aller rapidement. Si les Polonais ont autant d’allant, aujourd’hui, sur le PESD, c’est aussi pour çà. Et puis, il y a une prise de conscience européenne qu’on doit assurer une partie de notre sécurité nous-mêmes.

Peux-t-on parler d’un Saint Malo bis ? Puisque même les Britanniques semblent aujourd’hui moins réticents à l’Europe de la défense.
Saint Malo, c’était une déclaration politique qu’il fallait mettre en œuvre. Aujourd’hui, nous avons travaillé sur de vraies avancées concrètes et pragmatiques. Les Britanniques nous ont longtemps reproché de faire des cathédrales sans contenu. Durant notre présidence, nous avons essayé de leur montrer la nécessité de l’Europe de la défense par des avancées précises, des projets concrets. Des briques posées peu à peu qui forment un ensemble. Avec la levée politique par le Président de la république de l’incompatibilité entre l’Otan et l’Europe de la défense, un verrou a sauté. C’est incontestable. Et le résultat est là : pour la première fois, de lutte contre la piraterie, les Britanniques vont commander une opération militaire. C’est un beau symbole de l’évolution de l’Europe de la défense et de son passage à l’âge adulte.

L’élan de la présidence française ne risque-t-il cependant pas de se briser, sur les présidences suivantes, on voit bien que les Tchèques ne sont pas enthousiastes sur le sujet.
… Dans les présidences suivantes, il y a aussi la Suède et Espagne qui sont extrêmement allantes sur Europe de la défense. J’ai confiance. Il y a une dynamique qui s’est créée.

Si vous ne deviez retenir qu’un sujet, parmi ces avancées, quel est celui qui vous tient le plus à cœur ?
L’Erasmus militaire c’est un beau symbole. Nous allons à la fois aller vers la création d’une culture européenne, un facteur d’interopérabilité et une conscience militaire pour les futures élites militaires.

Et en matière industrielle ?
Je citerai le projet de « flotte européenne », basé sur l’Airbus A400M. Avec cet avion, nous aurons tout fait ensemble : le concevoir et le construire, former les pilotes, assurer une maintenance commune, et enfin l’exploiter en commun. Quelles que soient les difficultés que nous pouvons avoir, c’est la preuve que les Européens peuvent avoir un rôle industriel.

Justement en matière de difficultés, EADS ne cesse d’annoncer des retards ?
Nous menons des discussions actuellement avec Eads sur les spécifications de l’avion et les délais de livraison. Ce que nous voulons, c’est un engagement sur une date de livraison. Nous verrons ensuite pour les compensations.

Autre sujet : le Congo. L’Europe a décidé de ne pas intervenir, alors que la situation se dégrade et que plusieurs ONGs lui demandent d’envoyer des renforts pour la Monuc, qu’en pensez-vous
?

Nous n’avons pas besoin de troupes supplémentaires. Car il y a déjà des moyens importants à la Monuc : 16 000 hommes, environ 80 avions. Ce serait vraiment assez curieux d’envoyer des troupes européennes pour encadrer celles des Nations-Unies. L’important est plutôt que l’Onu réorganise ses forces et procède à des redéploiements. Et il y a aussi un effort politique à mener avec les pays voisins.

Les Russes viennent d’annoncer le renouvellement de leurs missiles à Kaliningrad. Cela ne risque-t-il pas d’être un nouveau foyer de tension ?
Nous n’en avons pas parlé au Conseil. Mais de manière générale, il est temps de nouer un partenariat de confiance entre Européens et Russes. Nous avons la même culture, la même littérature, une même histoire en partie. Nous avons baigné dans le même bain européen. Nous devons construire une relation fiable, durable avec les Russes. Les Européens ont tout à gagner dans un pays qui a l’énergie et les matières premières dont nous avons besoin et dans un client qui a besoin d’équipements et de technologies. Et les Russes ont autant intérêt que nous à nouer ce partenariat stratégique, de confiance, avec les Européens, pour assurer leur développement économique et la paix sur le continent.

Et ce partenariat doit inclure aussi le pacte sur la sécurité, proposé par Medvedev ?
Oui. Dans ce partenariat, la sécurité jouera un rôle.

(NGV)

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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