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Conception russe du droit à l’autodétermination, selon Gorbatchev (lecture)

Gorbatchev.jpg(BRUXELLES2) Gorbatchev est sans doute l'un des plus grands dirigeants de ce siècle. Disons le sans ambages. Il faut relire ses avant mémoires (éditions Odile Jacob, 1993) quand il s'exprime sur le droit à l'autodétermination.

"Le droit des peuples à l’autodétermination est un droit naturel, reconnu par la communauté internationale. (…) Mais, primo, il y a dans le monde peu d’Etats et même de territoires administrés qui constituent des formations ethniquement homogènes. L’application par une communauté de son droit à l’autodétermination entraîne habituellement l’atteinte au droit analogue de l’autre communauté. Secundo, dans les cas où la réalisation du droit à l’autodétermination entraîne la décomposition d’un Etat historiquement constitué, lorsque l’héritage vient à être partagé, il se pose aux héritiers, hormis les problèmes ethniques, tout un ensemble de problèmes que leur solution ne peut qu’en de rares cas être sans douleur et sans danger. Tertio, si les processus de délimitation couvrent d’importantes formations étatiques, on assiste à une destruction de l’équilibre géopolitique, intérétatique constitué. (…) Il est évident que la reconnaissance du droit des peuples à l’autodétermination ne saurait être absolue."

(NB : Gorbatchev pense certainement alors aux républiques ex soviétiques ou à la Yougoslavie mais aussi à l’Asie, l’Afrique ou l’Amérique latine).

"Deux formes de mise en œuvre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sont envisageables :

a) une rupture avec l’ancienne appartenante étatique et la construction séparée d’une communauté reconnue par le droit international ;

b) mise en place de liens fédératifs (ou confédératifs) avec les autres communautés ethniques à l’intérieur (ou à l’extérieur) de l’ancienne structure étatique. La première voie s’accompagne de toute une série de douloureux problèmes de frontières et de délimitations de territoires. Il existe par le monde bien peu de territoires monoethniques. C’est pourquoi la solution de l’Etat séparé incitera toutes les minorités ethniques à réclamer la même chose. On voit d’avance les conséquences pénibles de pareil processus sur l’ensemble des relations internationales : certains Etats pourraient bien être mis en demeure de disparaître tout à fait. Pour moi c’est le principe fédératif qui résout le plus raisonnablement le problème de l’autodétermination, dans l’intérêt des nations elles-mêmes et dans celui d’un ordre mondial nouveau. La question du fédéralisme est à mon sens une question-clé dans la conjoncture actuelle. Il s’agit bien entendu d’un fédéralisme authentique qui réunit des Etats égaux en droits et véritablement souverains. L’Union soviétique par exemple n’avait de fédération que le nom et était donc un lieu d’accumulation de contradictions qui ne pouvaient qu’éclater un jour. (…)

Si une solution fédérative s’avère impossible, il faut envisager un modèle séparatiste qui ne soit ni sanglant, ni « sauvage » mais admette une régulation civilisée. Là non plus on ne pourra faire l’économie du recours au code de droit international qui prévoit les conditions de création de nouvelles unités étatiques. Il s’agit avant tout de trouver une façon optimale d’honorer à la fois le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’intangibilité des frontières des Etats reconnues par la communauté internationale."

Nicolas Gros-Verheyde

Rédacteur en chef du site B2. Diplômé en droit européen de l'université Paris I Pantheon Sorbonne et auditeur 65e session IHEDN (Institut des hautes études de la défense nationale. Journaliste depuis 1989, fonde B2 - Bruxelles2 en 2008. Correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest (auparavant Ouest-France et France-Soir).

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